Le Figaro – Par Anne Jouan
Une famille attaque Sanofi pour non-signalement d’effets indésirables graves pour les femmes enceintes.
«La Dépakine, c’est le scandale des neurologues», confie en privé un éminent professeur de neurologie dans un grand hôpital parisien.
La famille Martin, dont les deux enfants, Salomé (née en 1999) et Nathan (né en 2002) souffrent de malformations, attaque en justice Sanofi. Ils viennent de déposer plainte auprès du procureur de la République à Paris. Les chefs d’accusation sont graves, selon le document consulté parLe Figaro: administration de substance nuisible, atteinte involontaire à l’intégrité de la personne, tromperie aggravée, mise en danger d’autrui, non-signalement d’effets indésirables graves.
Marine, leur mère, épileptique depuis l’âge de 6 ans, prend un traitement, le valproate de sodium, commercialisé en France par Sanofi sous le nom de Dépakine. L’autorisation de mise sur le marché a été obtenue en 1960. Pendant ses deux grossesses, elle a pris ce médicament, sans que jamais le corps médical ne lui parle des effets secondaires. Les deux enfants sont nés avec un Spina bifida occulta (malformation liée à un défaut de fermeture du système nerveux) mais Nathan est le plus atteint. Il souffre, entre autres, de problèmes à la verge, aux tendons, de troubles visuels, du langage et de surdité qui nécessitent la présence d’une aide de vie scolaire 18 heures par semaine. Ce n’est qu’en 2009 que Marine Martin a compris le lien entre les handicaps de ses enfants et la prise de son antiépileptique durant sa grossesse. Le lien a été confirmé par un généticien deux ans plus tard.
Ayant le sentiment «d’assister à un viol dans le métro sans que personne n’intervienne», elle décide de créer l’Apesac, une association d’aide aux parents d’enfants souffrant du syndrome de l’anticonvulsivant. Née en 2011, l’association revendique aujourd’hui 300 membres représentant 500 enfants touchés.
Le problème de la Dépakine, c’est que la littérature scientifique commence à aborder la question des effets secondaires sur le fœtus en 1982 (Lancet), puis très largement dans les années 1980. Pis, une publication de 1994 de Developmental Medicine and Child Neurology note que «toutes les mères épileptiques traitées devraient être averties du risque tératogène du valproate pendant la grossesse, de façon à ce que le traitement puisse être éventuellement remis en question». Mais dans le Vidal, et ce, jusqu’en 2006, on pouvait lire au paragraphe concernant la grossesse: «Chez une femme épileptique traitée par le valproate, il ne semble pas légitime de déconseiller une conception.» Ce n’est qu’en 2007 que cette mention disparaît, pour être remplacée par «si une grossesse est envisagée, toutes les mesures seront mises en œuvre pour envisager le recours à d’autres thérapeutiques».
Le message n’est semble-t-il pas passé. Cécile et Armand (les prénoms ont été modifiés) ont eu toutes les difficultés pour avoir un enfant. En 2006, ils commencent le parcours de la PMA dans des hôpitaux de la région parisienne. La FIV a lieu en mars 2008 et les jumeaux naissent fin novembre. Albin, insuffisant respiratoire, est placé en réanimation, et Marie, en raison de son poids, en néonatologie. La mère fait une crise d’épilepsie deux jours plus tard et se retrouve en réanimation elle aussi. Ce n’est qu’une semaine après la naissance que les parents découvrent que leur fils a deux pouces à la main droite. Aucun médecin (généraliste, neurologue, gynécologue) ne leur a dit que le valproate représentait un risque pour le fœtus. Ce n’est qu’en 2014 qu’un pédiatre leur lâche: «C’est un enfant Dépakine.» Aujourd’hui, Albin, qui a depuis été opéré de la main, a besoin d’une aide de vie scolaire 15 heures par semaine.
«Comme dans le dossier Mediator, il aura fallu des années de combat des associations et l’intervention de l’Agence européenne des médicaments (EMA) pour qu’il soit recommandé de cesser de prescrire ces produits à des femmes en âge de procréer, déplore Me Charles Joseph-Oudin, l’avocat des familles. Selon l’EMA, les problèmes de développement apparaissent chez 30 à 40 % des enfants exposés à la Dépakine. Soit un surrisque deux à trois fois plus important que pour le Mediator.» Et l’avocat de s’interroger sur«le comportement de l’Agence française, qui tarde systématiquement à prendre les mesures nécessaires pour éviter l’émergence de nouveaux scandales sanitaires».
En France en 2014, 135.000 patientes de moins de 55 ans sont sous Dépakine.
Source : http://sante.lefigaro.fr/actualite/2015/05/20/23753-antiepileptique-dans-tourmente