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une mère de famile normande dénonce les effets secondaires de la Dépakine, un médicament prescrit depuis plus de 40 ans

Paris Normandie

En décembre, l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) a officiellement demandé aux praticiens de ne plus prescrire de valproate « aux femmes en âge de procréer et aux femmes enceintes», pour cause de « risque élevé de troubles graves du développement (jusqu’à 30 à 40 % des cas) et/ou de malformations congénitales (environ 10 % des cas) ». 

Le valproate compose un anti-épileptique nommé Dépakine, prescrit depuis plus de 40 ans. En France, près de 30 000 enfants seraient handicapés du fait de son absorption durant la grossesse de leur mère, estime l’Apesac, association qui relaie aujourd’hui cette souffrance. Une souffrance qui, selon elle, aurait pu être évitée : la mise en garde de l’ANSM intervient en effet alors que ce médicament est sujet à caution depuis de nombreuses années. La justice est désormais chargée de faire toute la lumière sur cette question, qui vise en premier lieu le fabricant de la Dépakine : Sanofi-Aventis.

Au creux de sa main, une dizaine de pilules blanches, similaires à de banals comprimés d’aspirine. Nathalie Soyer les a conservées, bien qu’elle n’en fasse plus usage. Ces pilules, répondant au nom de Dépakine, lui ont permis, de longues années durant, d’affronter son épilepsie. Mais elles lui ont probablement gâché la promesse de belles années.

Cette mère de famille de 48 ans, installée à Montivilliers, en est convaincue : c’est l’absorption de Dépakine pendant sa grossesse, et surtout du valproate de sodium, sa principale molécule, qui a provoqué le handicap de son fils Thomas, né il y a vingt ans. Thomas souffre d’embryofoetopathie au valproate. « Il a l’âge mental d’un ado de 13 ans, décrit sa mère. Il n’a marché qu’à partir de 19 mois. Il présente des troubles du comportement proches de l’autisme, avec des accès de colère difficiles à gérer, il ne sait pas vivre en collectivité… »

« J’EN VEUX À MON NEUROLOGUE »

Or, selon Nathalie Soyer, tout aurait dû concourir, en 1995, à ce qu’elle soit, au minimum, avertie des risques qu’elle prenait en poursuivant son traitement pendant sa grossesse. C’est tout l’enjeu de la procédure judiciaire qu’elle vient de rejoindre, au côté d’une dizaine de plaignants, dans le but d’obtenir la reconnaissance de responsabilité de Sanofi-Aventis, producteur de la Dépakine.

Le puissant groupe pharmaceutique français est accusé d’avoir – sciemment ou non ? – occulté les dangers de l’antiépileptique pour les femmes enceintes, à une époque où ses effets tératogènes (susceptibles de provoquer des malformations chez l’enfant) commençaient à être reconnus. « Le dictionnaire Vidal [dictionnaire médical de référence, qui rassemble les caractéristiques des médicaments, NDLR], entre 1985 et 1988, faisait mention des risques de malformation », indique Nathalie Soyer.

En effet, « il a été montré que dans la descendance des femmes épileptiques traitées, le taux global de malformations est de deux à trois fois supérieur à celui de la population générale », stipule l’ouvrage, dans son édition de l’époque. Mais ce dernier n’établit pas pour autant un lien de causalité évident. Considérant notamment les risques induits par une interruption du traitement, « il ne semble pas légitime de déconseiller une conception chez une femme épileptique traitée par le valproate de sodium», écrit alors le Vidal.

De fait, si Nathalie Soyer s’engage aujourd’hui dans la procédure visant à faire condamner Sanofi, elle n’exclut pas de poursuivre des professionnels de santé locaux, auxquels elle ne pardonne pas leur ignorance et/ou leur négligence. « J’en veux beaucoup à mon neurologue : je lui avais demandé précisément si je pouvais envisager d’avoir un enfant malgré la Dépakine, et il m’a assuré qu’il n’y avait aucun souci. » Le récit de Nathalie Soyer retrace, au fil des années qui suivirent, le parcours d’une femme « seule au monde » (elle s’est séparée très tôt du père de Thomas), face à la maladie de son fils sur laquelle elle reste incapable de mettre le moindre nom. Bien que, de lectures en découvertes sur internet, ses doutes se soient peu à peu portés sur la Dépakine, ce n’est qu’en 2013 que l’évidence s’est imposée. En obtenant à la maternité une copie du premier examen médical post-naissance de Thomas, dont elle n’avait jamais eu connaissance, elle découvre ces mots : « Visage évocateur du syndrome de valproate. »

POUR DES « CLASS ACTION »

La Montivillonne est entrée au même moment en contact avec l’Apesac* (Association d’aide aux parents d’enfants souffrant du syndrome de l’anti-convulsivant), qui représente aujourd’hui près de 250 familles concernées par les conséquences de la Dépakine. Fondée en 2011, celle-ci milite, entre autres, pour que la loi donne la possibilité à une association de mener une action de groupe en justice (sur le modèle des « class action » américaines). « Et nous voulons que la Dépakine ne soit plus prescrite aux femmes enceintes », complète Nathalie Soyer. Car d’après Marine Martin, la présidente de l’Apesac, «nous savons que cela arrive encore ».

THOMAS DUBOIS

t.dubois@presse-normande.com

*www.apesac.org. L’association organise son assemblée générale les 20 et 21 juin à Blangy-le-Château, entre Pont-l’Evêque et Lisieux.

Sanofi nie tout défaut d’information

« Nous sommes sincèrement touchés par de telles situations et comprenons la détresse de cette mère de famille », répond d’entrée la direction de Sanofi dans un long communiqué.

Toutefois, le groupe pharmaceutique réfute tout défaut d’information de sa part relatif à la Dépakine. «Sanofi a toujours, sous le contrôle des Autorités de Santé, respecté ses obligations d’information auprès des professionnels de santé et des patients, concernant les possibles effets indésirables connus liés à l’utilisation du valproate de sodium, notamment en ce qui concerne la prise de ce médicament pendant la grossesse. » Et ce, assure-t-il, « dès la mise sur le marché du produit au début des années 1970 ».

« Traitement efficace »

« Depuis près de dix ans, il est indiqué dans le résumé des caractéristiques du produit (RCP) et la notice patient que le valproate de sodium ne doit pas être utilisé, sauf en cas de réelle nécessité, chez les femmes en âge de procréer (sans contraception efficace) et pendant la grossesse », insiste Sanofi.

Une façon de renvoyer la responsabilité vers les médecins qui, écrit à nouveau le groupe pharmaceutique, « ont toujours été informés sur le risque tératogène » du médicament Dépakine.

Pour les défenseurs des victimes, cet argument ne saurait toutefois dédouaner Sanofi de toute responsabilité. De son côté, le fabricant de médicaments assure mettre à jour ses documents d’information selon les dernières recommandations de l’ANSM (agence nationale de sécurité du médicament), au sujet du valproate de sodium. Une molécule qui, rappelle au passage Sanofi, « reste l’un des traitements les plus efficaces de l’épilepsie généralisée ; il est pour certains patients le seul médicament permettant d’obtenir une épilepsie équilibrée ».

T. D.

« Un combat de longue haleine »

Député PS de Haute-Garonne, Gérard Bapt est connu pour son engagement sur les questions de santé. Ce cardiologue contribua largement à révéler le scandale du Mediator. L’élu appuie aujourd’hui les victimes présumées de la Dépakine.

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En quoi vous paraît-il nécessaire de soutenir la cause de l’Apesac ?

Gérard Bapt : « Il faut faire connaître cette association, les dégâts dont on parle peu mais qui sont terribles. Des enfants naissent lourdement handicapés à cause d’un défaut d’information. C’est une histoire extrêmement longue, qui témoigne des difficultés à faire bouger les choses de ce point de vue, en France. »

De quelle manière comptez-vous les aider ?

« Je travaille sur une disposition législative pour que l’on puisse enfin invoquer la responsabilité du laboratoire, même lorsque le risque n’était pas connu au moment de l’autorisation de mise sur le marché du médicament. Car les laboratoires se retranchent trop facilement derrière cet argument. À l’instar du Mediator, nous sommes dans une situation où les responsabilités ont été trop longtemps niées. »

Que vous inspire l’attitude de ces grands groupes pharmaceutiques ?

« Ce sont des producteurs, qui cherchent avant tout à vendre leur production. Je me bagarre en ce moment pour faire interdire les néonicotinoïdes [pesticides particulièrement toxiques pour les abeilles, NDLR]. Vous savez, Bayer, qui fabrique des pesticides, fabrique aussi des médicaments… C’est un combat de longue haleine qui attend les membres de l’Apesac. »

PROPOS RECUEILLIS PAR T. D.

L’avocat des victimes du Mediator

Connu pour avoir défendu des dizaines de victimes dans l’affaire retentissante du Mediator, l’avocat parisien Me Charles Jospeh-Oudin a désormais en charge une dizaine de dossiers liés à la Dépakine, dont celui de la Seinomarine Nathalie Soyer.

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« Nous en sommes actuellement à la nomination des experts chargés d’établir les liens de causalité entre le médicament et les pathologies pour chaque plaignant », explique l’avocat, incapable de fournir pour l’instant la moindre date d’un éventuel procès. « On se prépare à des difficultés, nos adversaires sont horriblement retors », note-t-il. Principal objet de son action : « Faire condamner et obtenir une indemnisation du laboratoire Sanofis-Aventis : en tant que producteur, il reste responsable des dommages. Je suis toujours terrifié par l’attitude de ces groupes prêts à vendre leurs médicaments et à en tirer des bénéfices, mais où plus personne n’assume de responsabilités lorsque survient le moindre problème. Et ce même lorsque l’anomalie représente un cas pour mille, voire un cas pour dix mille. »

Si Sanofis-Aventis assume aujourd’hui la nocivité relative de la Dépakine, le groupe pharmaceutique « aurait dû le faire, théoriquement, depuis le milieu des années 80, maximum au début des années 90 », avance l’avocat.

T. D.

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Source : http://www.paris-normandie.fr/region/depakine-un-scandale-NJ3139708

 

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