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Rencontres de l’esprit critique : quand la science s’arme contre la désinformation

L’Express

Reportage. Du 10 au 13 avril près de Toulouse, scientifiques, vulgarisateurs et lanceurs d’alerte ont croisé leurs expertises pour lutter contre les fausses informations et les dérives sectaires.

Ben, 14 ans, sort ravi de la conférence « Comment réinventer la vulgarisation de l’esprit critique? ». « C’était super! Et j’ai aussi aimé la table ronde qui explique qu’il n’y a pas plus manipulable que celui qui croit ne pas l’être », glisse-t-il avec enthousiasme. Son profil pourrait étonner compte tenu du caractère très sérieux de la discussion animée par le sociologue Gérald Bronner, la doctorante en sciences de l’éducation Charlotte Barbier et le vulgarisateur Arthur Hennes. Devenu une figure montante des réseaux sociaux depuis la crise du Covid, ce dernier a attiré quelques autres jeunes fans avides de découvrir celui qui s’est notamment fait connaître en tournant en dérision les vidéos de désinformation générées par l’intelligence artificielle sur TikTok et Instagram. « Je ne crois pas que la lutte contre les fausses informations puisse convaincre ceux qui sont complètement tombés dedans. Elle vise plutôt ceux qui n’ont pas d’avis ou manquent de connaissances, dont les jeunes : ce sont eux qu’on doit informer en priorité », déclarait-il quelques minutes plus tôt.

Le festival des Rencontres de l’esprit critique (REC), qui s’est déroulé du 10 au 13 avril à Labège, près de Toulouse, a cette capacité d’attirer des scientifiques, chercheurs, vulgarisateurs et citoyens passionnés jeunes et moins jeunes. Nées en 2021 sous l’impulsion de Willy Lafran, entrepreneur engagé, les REC étaient à l’origine un modeste cycle de conférences rassemblant une poignée de chercheurs et de vulgarisateurs. Aujourd’hui, l’événement entièrement gratuit réunit 2 000 visiteurs sur quatre jours ainsi que des scientifiques et des institutions de renom. Cette année, l’Agence spatiale française (CNES), représentée par le Groupe d’études et d’informations sur les phénomènes aérospatiaux non identifiés (GEIPAN), y tenait même un stand. « Notre rôle est d’apporter une réponse rationnelle aux signalements des citoyens, grâce à la science et à une méthodologie rigoureuse. Mais si nous avons identifié énormément d’OVNI, nous n’avons pas encore la preuve de petits hommes verts », plaisante son manager, Frédéric Courtade.

Emprise mafieuse, emprise sectaire, même combat

Les profils des intervenants sont variés. Mais ils partagent des valeurs communes : la défense de la science, la lutte contre la désinformation et les dérives sectaires ainsi que la protection de leurs victimes. Illustration avec la table ronde où Léo Battesti, fondateur du collectif antimafia « Maffia no, a vita ié », Donatien Le Vaillant, le chef de la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) et une capitaine de police de la cellule d’assistance et d’intervention en matière de dérives sectaires (CAIMADES), présentent les similitudes entre l’emprise mafieuse et l’emprise sectaire. Selon eux, les personnes vivant au sein de ces mouvements sont le plus souvent à la fois victimes et bourreaux. Raison pour laquelle ils partagent une culture commune du silence et de la honte. « Nous avons déjà découvert, lors de perquisitions, des documents stipulant aux adeptes quoi dire en cas de contrôle policier. Ce qui constitue pour nous une preuve d’emprise mentale », indique l’inspectrice.

Entreprenant d’aborder les solutions pour lutter contre ces phénomènes, Léo Battesti rappelle que « La Corse possède toujours le plus haut taux d’homicide par habitant de toute l’Europe » et que « si l’Italie a réussi à diminuer la menace mafieuse sur son territoire, c’est grâce à d’importants moyens investis dans le système judiciaire ». Donatien Le Vaillant souligne lui aussi la nécessité de l’efficacité juridique. Le nombre de signalements auprès de la Miviludes, ainsi que celui du nombre de saisines du procureur de la République, ne cesse d’augmenter année après année. « J’ai voulu participer à cette table ronde pour soutenir cette initiative citoyenne qui est remarquable, indique M. Le Vaillant en sortant de la salle. Car s’agissant des dérives sectaires, seul un examen critique, parfois douloureux, permet de se désengager d’un mouvement qui ne respecte pas les droits de la personne. L’esprit critique peut également permettre de ne pas s’y exposer! ».

Le combat déséquilibré des lanceurs d’alerte

Dans une salle voisine, six scientifiques et lanceurs d’alerte dénoncent « une étonnante impunité judiciaire et politique » concernant les multiples dérives de l’IHU de Marseille et de son ex-directeur Didier Raoult, mais aussi contre les propagateurs de fausses informations que sont le site complotiste France Soir et l’association BonSens, comme l’a rapporté L’Express. Devant la salle, un vigile filtre les entrées. Il empêche un spectateur au comportement agressif repéré quelque temps plus tôt de rentrer. Le lendemain, des photos des auteurs de la conférence seront diffusées sur la plateforme X (ex-Twitter), le plus souvent accompagnées d’insultes.

Une scène similaire se produit à l’entrée de la conférence sur la biodynamie : un homme d’une soixantaine d’années est évacué par la sécurité. A l’intérieur, il y a foule, certains spectateurs sont contraints de s’asseoir par terre. Pendant une heure, au milieu de plaisanteries sur les nains hurleurs qui habitent la Lune – une théorie de l’anthroposophie -, les conférenciers détaillent les liens entre ce courant ésotérique fondé par l’occultiste autrichien Rudolf Steiner et l’agriculture et la viticulture biodynamique. « Beaucoup l’ignorent, mais le label biodynamie est attribué par Demeter France qui reverse chaque année 100 000 euros à la société anthroposophique universelle. Les liens sont documentés », explique Cyril Gambari, enseignant en biologie écologie.

Mathieu Cathala, un vigneron de l’Aude, souligne que son département est particulièrement fervent de la biodynamie et qu’il prend un risque en prenant la parole. « Notre secteur est ultra-concurrentiel, et la biodynamie a cet intérêt d’offrir une différenciation », annonce-t-il, avant de dénoncer le business des préparations. « On parle d’offrandes de vessie de cerfs, de crâne de bétail, diluées dans des doses qui représentent quatre grammes par hectare : une quantité tellement infime qu’elle ne peut pas avoir d’impact agricole sur les terres, pointe-t-il. Sans surprise, ils croient aussi en l’homéopathie ». L’ambiance est légère, mais le sujet est pourtant grave. « J’ai perdu 10 années de ma vie à croire en ces préceptes faux et illusoires », confie Camille biodynamite, pseudonyme d’une ancienne ouvrière agricole, qui a repéré l’anthroposophe qui tentait de perturber la conférence.

Business lucratif

Au détour de discussions, de nombreux intervenants assurent avoir été pris pour cible sur les réseaux sociaux, insultés, menacés physiquement et parfois même attaqués en justice dans les « procédures bâillons » évoquées par le chef de la Miviludes plus tôt. Que gagnent-ils dans ce combat? La conviction de lutter pour une cause importante : la circulation d’une information de qualité et la nécessité de donner les armes intellectuelles pour se protéger des arnaques et des dérives. Le camp de la désinformation, lui, semble plus rentable. « Les fausses informations génèrent des milliards grâce aux publicités affichées sur les sites ou les chaînes (Youtube, Instagram, etc.) d’intox, détaille ainsi Aude Favre, auteure du documentaire Fake News, la machine à fric. Évidemment, tout le monde se renvoie la balle : les marques disent que l’agence de pub a mal paramétré la campagne publicitaire, l’agence accuse Google qui ouvre des encarts n’importe où sur Internet, etc. »

Laurent Foiry, entrepreneur et auteur du livre Les faux savants : plongée au coeur du complotisme scientifique, détaille comment l’influenceuse américaine Candace Owens a « gagné plus de deux millions de dollars » en publiant une série de six épisodes de pseudo-enquête payants affirmant que Brigitte Macron était un homme. « Une étude de l’Unesco a montré que deux tiers des influenceurs sur les réseaux sociaux ne vérifient pas leurs informations : ils vendent du produit ou de l’opinion, assure Audrey Lunique, spécialiste de l’influence et de ses dérives. Et comme les algorithmes favorisent les contenus sensationnalistes, la désinformation peut rapporter vite, avec peu de risques ». Comme d’autres, ils dénoncent un combat inégal entre les influenceurs-désinformateurs et ceux qui tentent de s’y opposer. « Une enquête fouillée peut prendre des semaines voire des mois, là où une fausse information se fabrique en quinze minutes avec un ordinateur et une Intelligence Artificielle », regrettent-ils, citant le succès, en octobre 2024, de la vidéo affirmant que des géants ont construit les pyramides. Fil rouge des REC, ils s’interrogent eux aussi sur le manque de moyens – et parfois de compétence – de la justice pour lutter contre ces menaces.

« Big Pharma » : critique légitime et fantasmes complotistes

Parmi les tenants des théories du complot, l’attaque la plus fréquente consiste à accuser les personnes combattant la désinformation ou les dérives sectaires d’être payées par « Big Pharma ». Willy Lafran, qui refuse que les complotistes s’approprient la critique légitime des laboratoires pharmaceutiques et la dénonciation des scandales sanitaires, a invité la lanceuse d’alerte Marine Martin. Dans sa conférence au titre un brin provocateur – « Comment combat-on Big Pharma en vrai? » – elle raconte son bras de fer contre Sanofi, qui produit la Depakine, un médicament antiépileptique dont elle a révélé les effets graves et méconnus sur les foetus des femmes enceintes.

En 2024, le tribunal judiciaire de Paris a condamné le laboratoire à verser à cette mère et à ses deux enfants près de 285 000 euros d’indemnités pour « défaut d’information » sur les risques de malformation et neurodéveloppementaux causés par le médicament. « Malheureusement, ils ont fait appel », souligne-t-elle, avant de rappeler l’un des angles morts majeurs de la recherche biomédicale moderne : le manque d’essais cliniques sur les femmes enceintes,

« Il y a aussi eu des moments plus légers! », tient à rappeler Willy Lafran. Chaque soir, les intervenants et spectateurs étaient invités à partager un verre dans un bar à proximité. Là, ils ont pu se détendre avec des spectacles, concerts, mais aussi des tours de Yann Frisch, star mondiale de la magie. Histoire de rappeler que la défense de la raison peut aussi être festive… et que la prestidigitation n’est pas l’apanage des désinformateurs.

Source : L’express

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