Au féminin
- · « La Dépakine est l’un des médicaments les plus dangereux pour les femmes enceintes »
- · « J’ai empoisonné mes enfants »
- · Après le constat, le début du combat avec la création de l’APESAC
- · En 4 dates : les grandes victoires de Marine Martin contre la Dépakine
- · « J’ai dit à mon mari de me quitter s’ils voulaient des enfants sains et normaux »
- · Un grand procès au pénal attendu en 2026 ou 2027
L’histoire de Marine Martin est celle d’une mère, d’une combattante et d’une lanceuse d’alerte qui a osé révéler la réalité dévastatrice d’un médicament, la Dépakine. Dès le diagnostic de son épilepsie, quand elle était enfant, elle est plongée dans un univers médical où la confiance en ses médecins va la mener au plus grand drame de sa vie. Son récit, poignant et déterminé, révèle comment l’ignorance sur les risques de ce médicament a transformé son existence et celle de ses enfants, mais aussi, surtout, comment elle s’est battue pour la vérité et la justice.
« La Dépakine est l’un des médicaments les plus dangereux pour les femmes enceintes »
La vie de Marine prend un tournant décisif avec l’arrivée de ses enfants. En 1999, la naissance de sa fille Salomé suscite immédiatement des interrogations. Elle présente, dès le début, des traits particuliers et, en grandissant, se montre « un peu gauche ». Mais l’alerte ne se confirme qu’avec l’arrivée de Nathan en 2002. Ce deuxième enfant naît avec une malformation de la verge et, avec le temps, développe des troubles du comportement, des retards moteurs et des signes évoquant un handicap plus global.
« J’ai fait des enfants monstrueux parce que j’ai pris de la Dépakine, qui s’est avérée être l’un des médicaments les plus dangereux chez la femme enceinte. » Ce constat brutal est dévastateur pour Marine Martin. Le lien entre la consommation de Dépakine et les malformations de ses enfants ne se fait pas immédiatement. Mais un jour, un article sur les effets secondaires des pesticides sur la formation des enfants d’agriculteurs la fait réfléchir : « Je ne consomme pas de pesticide, mais je prends des médicaments. » Ce déclic, en 2009, marque le début d’un douloureux cheminement vers la compréhension et la reconnaissance de la vérité.
« J’ai empoisonné mes enfants »
L’idée que son traitement ait pu empoisonner ses enfants plonge Marine Martin dans une profonde culpabilité. « Je me sentais coupable, très rapidement je me suis dit : ‘J’ai empoisonné mes enfants… si je n’avais pas pris ce médicament, ils seraient en bonne santé' », confie-t-elle. Après avoir fait le lien entre la Dépakine et le handicap de ses enfants, la mère de famille cherche à savoir si d’autres cas similaires existent. Elle découvre l’existence d’une association au Royaume-Uni et de la plainte d’une femme à Tours, en France. Elle en est sûre : « Tout le monde savait, mais personne n’a rien dit. »
Le silence des médecins et l’ignorance délibérée des laboratoires sur les dangers de la Dépakine ont conduit à des conséquences irréversibles sur sa famille, mais pas seulement. Des milliers d’autres sont concernées. « Le manque d’information et de transparence prive les femmes enceintes du droit fondamental de disposer de leur corps », regrette-t-elle. « J’aurais pu avoir le choix, mais on ne m’a pas donné les informations pour le faire », poursuit-elle. « D’autant plus que d’autres antiépileptiques moins dangereux existent. »
Après le constat, le début du combat avec la création de l’APESAC
Face à cette indifférence institutionnelle, Marine Martin décide de passer à l’action. En 2011, elle fonde l’APESAC (Association nationale d’Aide aux Parents d’Enfants souffrant du Syndrome de l’Anti-Convulsivant). Son objectif est double : informer les futures mamans des risques liés à la Dépakine et engager une bataille judiciaire pour faire reconnaître la responsabilité du laboratoire. Pour elle, l’initiative est avant tout un acte de justice et de solidarité.
« Je sais que je dois m’armer et prendre un avocat spécialisé dans le droit du médicament », se souvient-elle avoir pensé. Après avoir vu Irène Frachon, lanceuse d’alerte dans le scandale du Médiator, et son très médiatique avocat Charles Joseph Oudin, elle franchit une étape décisive : c’est lui qui s’occupera de son dossier. Rapidement, elle gagne en visibilité, la presse diffuse son témoignage, déclenchant une vague de soutien et ébranlant peu à peu le système.
En 4 dates : les grandes victoires de Marine Martin contre la Dépakine
Le combat de Marine Martin se traduit par plusieurs avancées majeures :
- En 2016, elle parvient à faire adopter un dispositif d’indemnisation spécialement dédié aux victimes de la Dépakine à l’ONIAM (Office National d’Indemnisation des accidents Médicaux) à l’Assemblée nationale. « Cela se conclut par 77 millions d’euros d’indemnisation par an pour les victimes de Dépakine », assure-t-elle.
- En 2017, elle obtient l’ajout d’un pictogramme sur les boîtes de Dépakine en France, puis en Europe, informant les patientes des risques encourus, notamment lors d’une grossesse.
- En 2022, la justice condamne l’État pour son manquement à informer correctement les patientes, reconnaissant ainsi sa responsabilité dans ce drame. Cette décision souligne l’implication des pouvoirs publics dans le défaut d’information et leur devoir de protéger les citoyens.
- La victoire la plus symbolique survient en 2024 lorsque le laboratoire Sanofi, qui commercialise le médicament, est reconnu coupable. Après avoir entamé une action civile en 2012, elle parvient à faire condamner Sanofi pour avoir manqué à son devoir d’information malgré la connaissance des risques. Bien que le laboratoire continue de refuser de payer les indemnités (obligeant l’État, ou plus exactement « nos impôts » à s’en charger, selon la lanceuse d’alerte), cette première action de groupe réussie représente une avancée majeure contre l’industrie pharmaceutique et redonne espoir aux familles victimes.
« J’ai dit à mon mari de me quitter s’ils voulaient des enfants sains et normaux »
Mais à côté de cette lourde bataille judiciaire, le combat de Marine Martin ne s’arrête pas une fois à la maison : elle doit aussi faire face à la réalité quotidienne de la prise en charge de ses enfants. La gestion de Nathan, qui présente des troubles neuro-développementaux et des retards moteurs, requiert énormément de temps et d’énergie de la part de la maman. « Alors que j’avais des plans de carrière, j’ai dû réduire mon activité professionnelle pour m’occuper de mon fils« , confie-t-elle. « Aujourd’hui, je ne travaille plus du tout. »
Ce n’est pas le seul sacrifice de Marine Martin, qui ne peut pas agrandir sa famille. « J’ai dû faire le deuil de ces deux autres enfants que je voulais. » Malgré son besoin vital de traitement pour contrôler son épilepsie, Marine Martin se trouve déchirée entre sa santé et l’impact sur ses enfants. Une situation difficile, qui a créé quelques tensions dans sa vie personnelle, et notamment dans sa vie de couple, marquée par la culptabilité. « J’ai conseillé a mon mari de me quitter s’il voulait avoir des enfants sains et normaux, car moi, je ne pourrai jamais lui en donner », admet-elle. Mais face aux épreuves, la famille est toujours restée soudée et unie.
Un grand procès au pénal attendu en 2026 ou 2027
Si elle a déjà obtenu plusieurs victoires, Marine Martin sait que son combat est loin d’être terminé. La prochaine étape aujourd’hui : le grand procès pénal contre Sanofi, qui devrait se tenir en 20216 ou 2027. « J’ai besoin d’entendre certaines personnes à la barre. Je veux que le procès soit médiatisé et que la vérité éclate. Je veux réussir faire indemniser toutes les victimes », affirme-t-elle avec détermination. Par ailleurs, la lanceuse d’alerter envisage même de voir cette affaire portée à l’écran, sous forme de film ou de série, pour que son combat serve d’exemple et que la mémoire de cette injustice ne s’efface pas. Enfin, l’APESAC milite pour la reconnaissance des effets sur la descendance des enfants impactés, et même sur les salariés de Sanofi.
Malgré les épreuves, Marine Martin garde espoir. « Je suis très fière de mes deux enfants, malgré leur handicap, ils ont fait un beau parcours », affirme-t-elle avec émotion. Salomé, malgré des troubles praxiques et autistiques légers, est devenue prof de mathématiques, tandis que Nathan, plus lourdement handicapé, poursuit des études de droit. L’espoir ultime de sa mère : qu’il puisse un jour être autonome et vivre seul.
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Source : Joséphine de Rubercy