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Scandale de la Dépakine : la croisade des pères

écographie Dépakine

Causette

Alors que l’affaire de la Dépakine, qui a éclaté il y a plus de dix ans, suit son cours avec des mères et leurs enfants contaminé·es qui ont saisi la justice, les pères seraient aussi concernés et montent au créneau.

L’information est tombée en août sous la forme d’une annonce, très attendue, de la part de l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) : celle-ci s’est enfin décidée à alerter sur les risques de la Dépakine pour les enfants dont le père s’est vu administrer cet antiépileptique. Un signal positif pour des familles vivant dans l’incertitude depuis des années. C’est grâce à cette annonce que Stéphane*, 44 ans, a rejoint l’association des victimes de la Dépakine, l’APESAC. Sous traitement depuis l’âge de 12 ans à la suite d’une tumeur cérébrale, ce père de trois enfants, dont une fille de cinq ans et deux jumeaux de quatre ans, s’inquiète des conséquences probables de ce médicament sur l’un de ses garçons. Celui-ci a fait le rapprochement par lui-même, frappé par la coïncidence : “Les termes utilisés par l’alerte de l’ANSM sont les mêmes que les termes utilisés par le corps médical pour traiter mon fils. Il s’agit d’un risque de troubles autistiques et du développement,” détaille t-il. Sans en avoir, pour l’instant, la confirmation.

Un laboratoire condamné pour manquements

Le scandale sanitaire de la Dépakine débute lorsqu’une anonyme, Marine Martin, devient, un peu par hasard, la lanceuse d’alerte de cette affaire au long cours. Un jour, alors qu’elle s’inquiète des possibles effets de son traitement antiépileptique sur son fils, né avec une malformation, elle se lance seule dans la pêche à l’information. En 2011, elle crée l’Association d’aide aux parents d’enfants souffrant du syndrome de l’anticonvulsivant (APESAC) et se lance dans une bataille juridique : grâce à l’avocat d’Irène Frachon, la lanceuse d’alerte du Mediator, elle décide de saisir la justice. Il faudra attendre 2022 pour que celle-ci reconnaisse les manquements du laboratoire Sanofi dans le devoir d’information auprès des patientes enceintes, sur les risques que faisait peser la prise de Dépakine durant leur grossesse. Ce composé chimique, le valproate de sodium, prescrit pour le traitement de l’épilepsie et commercialisé depuis 1973 a été administré à des milliers de femmes au cours de leur grossesse et aurait exposé à des risques au moins 30 000 enfants, selon l’APESAC. Du côté des hommes, le récent communiqué de l’ANSM estime à 6% le risque pour les pères traités de contaminer leur progéniture : des chiffres bien inférieurs à la réalité, selon l’association.

« Pourquoi nous, les hommes, on ne serait pas aussi exposés ? »

Celle-ci a obtenu, après des années de lutte, que les mères soient informées du risque encouru, en imposant l’ajout d’un pictogramme « interdit aux femmes enceintes » sur les emballages du médicament. Aujourd’hui, ce sont les pères inquiets qui s’interrogent et se manifestent à leur tour : l’APESAC compte désormais une trentaine d’hommes adhérents. Parmi eux, Jean-Marc Laurent, 58 ans, est informellement désigné “délégué national papas Dépakine”. Cet ancien journaliste est monté au créneau en août, après les annonces de l’ANSM. Sous Dépakine depuis l’an 2000 suite à un parasite logé dans son cerveau, il a vu sa fille unique, Margot, née en 2008, souffrir de plusieurs retards d’apprentissages (dyspraxie, dysphasie, dysorthographie). Il raconte: “On se rendait compte qu’elle était maladroite. Quand elle marchait, elle se cassait parfois la figure. On se disait que ça allait s’arranger mais ça n’a pas été le cas en grandissant”. Lui aussi a fait le lien avec son traitement : “J’ai commencé à voir des témoignages de Marine Martin à la télé. Je me suis dit ‘ Toutes ces femmes qui prennent de la Dépakine, ce n’est pas normal qu’il y ait ce problème. Pourquoi nous, les hommes, on ne serait pas aussi exposés vu notre rôle dans la conception ? ‘. En l’absence d’information, j’ai culpabilisé à chaque fois que je prenais ce médicament pendant des années.”
De son côté, Marine Martin est contactée dès 2015 par des pères inquiets : “Assez rapidement, quand le scandale a été médiatisé, j’ai eu les premiers contacts d’hommes traités par Dépakine qui appelaient pour dire que leurs enfants présentaient les même pathologies. Ça commençait à m’interroger: un papa, deux papas… Mais à ce moment là, je n’avais pas d’éléments tangibles à leur donner”.

Une bataille pour un pictogramme

Aujourd’hui, dans un premier temps, Jean-Marc Laurent et Marine Martin souhaitent rassembler les pères concernés et les inviter à rejoindre les combats de l’association. Pas une mince affaire, en raison d’une maladie perçue comme stigmatisante : “Les gens ont honte de parler de l’épilepsie, on nous prend un peu pour des fous, ça fait peur, » justifie Jean-Marc Laurent. Ensuite, difficile pour certains hommes d’assumer : « Tout cela égratigne un peu l’image de notre masculinité, continue Jean-Marc Laurent.On n’ose pas en parler et on continue à dire que si notre enfant a un problème, ça vient toujours de la mère. Il faut arrêter de se cacher. Plus on en parle, mieux c’est ».

« Des vies de souffrance »

Parmi les revendications des pères, il y a une demande d’égalité avec les femmes, notamment dans l’inscription d’un pictogramme avec une interdiction et un spermatozoïde. “Il faut appliquer le principe de précaution”, martèle Marine Martin. “A l’époque, lorsque j’ai voulu avoir un enfant, on a demandé au médecin traitant s’il y avait un risque pour les papas et on nous a dit que non, se souvient Stéphane. Aujourd’hui, il faut que ce message passe auprès de tous les pères et des docteurs. D’ailleurs, c’est moi qui ai informé notre médecin du courrier de l’ANSM. » Il s’agit donc d’informer les pères traités et souhaitant avoir des enfants, afin de mettre en place des relais dans le traitement : l’ANSM, dans son message diffusé en août, évoque une période de trois mois d’arrêt à respecter. Une durée mise en doute par l’association : “Moi je pense que c’est beaucoup plus variable selon les individus. La Dépakine étant mutagène [capable de provoquer des mutations, ndr], elle va potentiellement affecter une personne pendant longtemps,” s’inquiète Marine Martin.
Comme les mères et leurs enfants qui se battent depuis des années, plusieurs pères ayant pris contact avec l’association prévoient de mener une action en justice en 2024. Jean-Marc Laurent compte lui aussi porter plainte contre Sanofi : “Ce n’est pas pour moi, justifie t-il. C’est pour Margot et pour les autres. Ce sont des vies de souffrance quand on a des handicaps”. Depuis le début des poursuites judiciaires, une centaine de personnes ont été indemnisées (soit environ 300 personnes, en comptant les victimes indirectes) avec des montants, pour les plus élevés, qui s’élèvent à deux millions d’euros, accordés par l’Oniam (Office National d’Indemnisation des Accidents Médicaux), c’est à dire le contribuable. L’objectif, pour les pères concernés, est, à terme, d’intégrer ce dispositif : “Je vais demander à ce que les hommes puissent bénéficier du fond d’indemnisation des victimes de la Dépakine, pensé à l’origine pour les mamans. Cela leur permettra de faire une demande de réparations,” indique Marine Martin.

« Nos enfants sont marqués au fer rouge par la Dépakine, ce sont des clones »

Chez l’entreprise mise en cause, Sanofi, qui continue à commercialiser son médicament, c’est la politique de l’autruche. “C’est déplorable qu’ils ferment les yeux, se lamente Jean-Marc Laurent. Ils ne veulent rien entendre aux souffrance des familles. Comme des gangsters, ils continuent à favoriser, non pas la recherche, mais le profit. Ils offrent surtout une pochette surprise aux enfants qui contient tout l’attirail des troubles lourds garantis à vie ». Il y a quelques semaines, en novembre, la mère de deux enfants atteints de troubles neurocomportementaux, qui travaillait, lors de ses grossesses, en face de l’usine Sanofi de Mourenx (Nouvelle-Aquitaine) fabriquant la Dépakine a déposé plainte pour mise en danger d’autrui.
L’enjeu à venir, pour les pères, consiste aussi à réussir à prouver scientifiquement le lien de corrélation entre leur traitement et la maladie de leur(s) enfant(s), comme il a été établi chez les femmes enceintes. Jean-Marc Laurent, pour sa part, en est persuadé, notamment à cause de la ressemblance physique entre les « bébés Dépakine » : « Il y a un point commun entre ces enfants, avec un petit nez légèrement épaté et des yeux en amande. Des traits qui s’estompent au fil du temps ». Il a pu constater lui-même l’existence de ce « faciès Dépakine » chez sa fille et d’autres enfants lors d’un rassemblement de familles concernées à Bordeaux. « Nos enfants sont marqués au fer rouge par la Dépakine, ce sont des clones », s’emporte Marine Martin.
Selon la présidente de l’association, qui est aussi reconnue comme « patiente experte », les publications scientifiques sur le sujet existent déjà depuis plusieurs années, notamment à l’étranger, mais les autorités sanitaires françaises tardent à les reconnaître officiellement. Dès 2017, pourtant, l’APESAC avait demandé que soit expertisé le sperme des pères. Après une interminable attente, les résultats devraient être dévoilés en 2024 : « C’est une étude faite à partir de données norvégiennes, analysées par un laboratoire brésilien et financée par Sanofi… j’ai des doutes sur sa partialité, » s’inquiète Marine Martin qui réclame l’accès à ces données et souhaite refaire ensuite des analyses plus fiables. La présidente de l’association n’a d’ailleurs pas attendu l’aval des autorités sanitaires : elle a fait conduire elle-même des recherches de son côté, publiées dans la revue Birth Research Defect, en 2022. Les conclusions sont alarmantes et ce, sur plusieurs générations : « La Dépakine est mutagène et reprotoxique [tout phénomène de toxicité pouvant altérer la fertilité de l’homme ou de la femme, ou altérer le développement de l’enfant à naître, ndr]. Cela altère donc aussi la qualité et la quantité du sperme.”

En attendant d’être définitivement fixées et prises en charge par les autorités et la justice, le doute continue de ronger les familles. Jean-Marc Laurent a du expliquer lui-même la situation à sa fille : “Je lui ai dit que les troubles qu’elle avait provenaient très probablement d’un médicament que papa prenait. Que je n’étais pas au courant qu’il y avait du poison dedans et que ce qui a permis de me guérir, moi, ne lui avait pas été bénéfique”, détaille t-il. Toute la famille a récemment déménagé de la région parisienne à Bordeaux afin de scolariser Margot dans une classe spécialisée. “Ma femme est très en colère, il lui a fallu du temps pour digérer cela”, ajoute de son côté Stéphane, qui passe tout son temps depuis deux ans à s’occuper de la santé de son fils malade. “Tout ce que je demande, c’est de pouvoir orienter au mieux les soins de mon fils”, conclue t-il. Le 16 novembre, l’ANSM a fait un autre pas dans leur direction, en annonçant l’interdiction du don de sperme aux hommes sous traitement.

*Le prénom a été modifié

Source : Par Clementine Gallot 8 décembre 2023

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