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Juliette, 16 ans, victime de la Dépakine et enfin indemnisée

Libération  

Pour la première fois, le laboratoire Sanofi a été condamné à fortement indemniser une je- une fille, lourdement handicapée après avoir été exposée in utero à ce médicament contre l’épilepsie. Le premier jugement d’une longue série.

Juliette a 16 ans. Bientôt, elle sera majeure. Et ses parents sont, pour une fois, presque rassurés. Jeudi, le tribunal de Nanterre a en effet condamné l’industriel Sanofi à les indemniser à hauteur de 450 000 euros, leur fille ayant été exposée à la Dépakine in utero : « Vous savez, c’est une interrogation récurrente. Comment cela se passera quand nous ne serons plus là ? Comment Juliette pourra vivre ?» s’interroge son père.

Juliette n’a pas vraiment réagi. Elle est ailleurs. Elle vit dans son monde. « Elle entend tout, mais c’est comme si tout était à côté d’elle, explique son père. Elle a sa petite vie. » La journée, elle la passe dans son institut médico éducatif (IME), puis rentre en famille sur les bords de la Loire. « On ne réalise que maintenant, lâche encore le père. Ça fait neuf ans que la procédure judiciaire a été lancée. C’est long, très long, on en a reçu des coups. »

Quand elle est née, en 2005, tout allait bien. Sa mère, certes, prenait de la Dépakine, médicament largement prescrit pour éviter des crises d’épilepsie. « Cela marchait très bien, raconte son mari. Elle ne faisait plus de crises, et personne, jamais, ne nous a parlé du risque pour la grossesse. » Juliette, au bout de quelques mois, s’est révélée un enfant moins réactif, « hypotonique» selon le langage médical lâche son père. « Heureusement, on nous a mis en contact avec Marine Martin », qui avait lancé l’Association des parents d’enfants souffrant du syndrome de l’anticonvulsivant (APESAC) en 2011. « C’est grâce à elle que l’on a tenu. »

 

Une responsabilité claire

 

Neuf ans de procédure, de combats, d’incertitudes, d’expertises à répétition. Aidé par Marine Martin mais aussi Charles Joseph-Oudin, avocat spécialiste de ces dossiers, il a fallu tenir dans la durée. Sanofi ne reconnaît rien. Fait la sourde oreille. Comme dans l’affaire du Médiator, c’est toujours un même argument qui est mis en avant, à savoir que le labo a suivi toutes les recommandations sanitaires. Rien de plus, rien de moins. En 2015, l’inspection générale des affaires sociales ( IGAS) pointe dans un rapport la timidité des autorités sanitaires et leur manque de réactions, mais aussi le manque de réactivité de Sanofi. Les données pharmacologiques se sont accumulées : non seulement la Dépakine a des conséquences physiques sur le fœtus, mais pire, le médicament peut provoquer des atteintes neurologiques gravissimes qui se révèlent progressive- ment et sont donc difficiles à appréhender. Les chiffres globaux sont impressionnants, il s’agit de l’une des plus grandes catastrophes médicamenteuses de ces cinquante dernières années. Près de 5 000 enfants ont été victimes de malformations et 16600 et 30 400 enfants pourraient avoir été atteints de troubles mentaux et du comportement, selon les derniers chiffres de l’assurance maladie.

Juliette en fait partie. Elle est atteinte de déficiences intellectuelles, de troubles neurocomportementaux, et de malformations physiques. C’est beaucoup. Juliette n’est pas du tout autonome. Juliette est lourdement handicapée.

Et pour le tribunal de Nanterre, il y a un responsable. « Le caractère défectueux de la Dépakine à la date de la grossesse a été retenu au regard de l’information insuffisante dans la notice », ont conclu les juges. Si en janvier, le même tribunal avait validé une action de groupe de plusieurs centaines de patients, c’est la première fois qu’une juridiction était saisie de la responsabilité du laboratoire dans un dossier individuel. Le jugement fixe un cadre. Il « retient que, dès 2003, le laboratoire a reconnu lui-même avoir eu connaissance des risques, en particulier neuro-développementaux ». Le jugement, que Sanofi a l’intention de contester en appel, estime que les publications scientifiques sur les effets secondaires « constituaient un signal suffisant pour solliciter auprès de l’ANSM [agence sanitaire de sécurité des médicaments] une modification de l’AMM», l’autorisation de mise sur le marché. Bref, la responsabilité est claire. «C’est la première fois qu’un tribunal retient que les troubles autistiques étaient connus du laboratoire, au moins en 2005, et qu’en conséquence il avait le devoir d’informer la famille dans la no- tice», insiste l’avocat des parents de Juliette, Charles Joseph-Oudin.

«La timidité des pouvoirs publics»

 

Au tribunal de Nanterre, ce n’est que le premier dossier d’une longue série ? plus de 20 dossiers ont été déposés. Et donc parallèlement, une action de groupe a été validée par le même tribunal. Que va-t-il dès lors se passer ?? Alors que tous les signaux sont alignés pour pointer, entre autres, la responsabilité de Sanofi, le laboratoire ne semble pas vouloir changer de stratégie. Il fait la sourde oreille. Refuse toute responsabilité, et au passage ne veut pas participer à une quelconque indemnisation. A l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux (Oniam), plus de 800 demandes ont été déposées. C’est l’Office qui va payer les indemnisations aux victimes. L’Oniam peut ensuite se retourner contre Sanofi, mais bizarrement, cela traîne. Comme si les pouvoirs publics ne voulaient pas brusquer l’industriel. «On est ahuri par le refus de Sanofi de reconnaître sa responsabilité, mais on est aussi ahuri par la timidité des pouvoirs publics», nous dit Charles Joseph-Oudin.

Juliette, elle, continue sa petite vie. Elle ne s’est rendu compte de rien, aux dires de ses parents. Son père insiste ? «Le plus important, c’est qu’elle puisse vivre décemment.»

 

Source : Eric Favreau

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