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Vers une bataille au Sénat sur les lanceurs d’alerte

Le Monde

Les sénateurs ont rogné en commission des lois des mesures-phares du texte, voté à l’unanimité à l’Assemblée nationale. Le débat vient en séance au Palais du Luxembourg les 19 et 20 janvier.

Le Sénat examine, à partir de mercredi 19 janvier, un texte délicat sur les lanceurs d’alerte. Votée à l’unanimité à l’Assemblée nationale en première lecture, le 17 novembre 2021, avec l’entier soutien du gouvernement, la proposition de loi « visant à améliorer la protection des lanceurs d’alerte » arrive en séance au Palais du Luxembourg après avoir été amputée de quelques avancées majeures en commission des lois.

Soumise à l’avis du Conseil d’Etat avant d’être débattue au Parlement, la proposition de loi du député Sylvain Waserman (Mouvement démocrate) profitait de la transposition de la directive européenne d’octobre 2019 sur « la protection des personnes qui signalent des violations du droit de l’Union » pour améliorer les dispositifs créés par la loi Sapin 2 de décembre 2016. Le choix d’aller au-delà de la norme européenne n’a pas fait débat à l’Assemblée, certains députés à gauche jugeant même le texte encore insuffisamment protecteur. La discussion a pris une autre tournure avec les sénateurs.

A l’initiative de la sénatrice Catherine Di Folco (Les Républicains), rapporteuse du texte, la commission des lois du Sénat a déplacé plusieurs curseurs dans l’équilibre à trouver entre la protection des lanceurs d’alerte et la sauvegarde des secrets protégés et des intérêts des personnes mises en cause.

« Régression extrêmement inquiétante »

Ainsi, à l’article 1er, a été supprimée la notion de « menace ou [de] préjudice pour l’intérêt général », qui faisait partie de la liste des informations pour lesquelles un individu qui en fait état pouvait prétendre à la protection réservée aux lanceurs d’alerte. Restent les crimes, les délits, le viol d’un engagement international de la France, de la loi ou du règlement. Pour Mme Di Folco, cette notion, pourtant inscrite dès la loi Sapin 2, est « extrêmement vague » et laisse au juge le soin d’apprécier ce qu’est l’intérêt général, alors que c’est « au peuple et à ses représentants » de le faire en votant les lois.

Dans un communiqué commun, la Maison des lanceurs d’alerte et une trentaine d’organisations, dont Transparency International, Greenpeace et France Nature Environnement, y voient une « régression extrêmement inquiétante ». « Avec cette définition, un lanceur d’alerte comme Antoine Deltour, qui a révélé l’optimisation fiscale agressive des multinationales [les LuxLeaks], se verrait refuser toute protection. Dénoncer les effets désastreux et le manque d’informations sur une substance chimique, un médicament autorisé sur le marché, tel que le Mediator ou la Dépakine, pourrait ne pas entrer dans la définition de l’alerte », écrivent-elles.

Président de la Commission nationale de la déontologie et des alertes en matière de santé publique et environnement, une commission indépendante créée par la loi de 2016, le professeur Denis Zmirou-Navier s’alarme dans une lettre adressée aux sénateurs. Il estime que « réduire l’alerte aux violations du droit n’aurait pas permis de donner un statut de lanceur d’alerte protégé contre les menaces et les atteintes à leur réputation professionnelle aux chercheurs qui ont révélé depuis plus de vingt ans les effets nocifs des insecticides de la famille des néonicotinoïdes sur les insectes pollinisateurs ».

De plus, les sénateurs ont voté en commission la réintroduction de la notion de « gravité » des violations de la loi ou du règlement français pour autoriser leur dénonciation. Le champ serait ainsi plus restreint que ce que prévoit la directive européenne… mais la France n’est tenue d’en respecter la lettre qu’en matière de violations des règles de l’Union. La Défenseure des droits, Claire Hédon, s’est inquiétée, également par voie de communiqué, d’une réécriture « de la définition de l’alerte qui fragilise le régime de protection ». Elle appelle « les sénateurs à maintenir les avancées votées par les députés ».

Mauvais signal

Le cœur de la réforme a néanmoins été conservé par les commissaires aux lois. La loi Sapin 2 interdisait au lanceur d’alerte de recourir à un canal de signalement externe institutionnel (autorité administrative, autorité judiciaire ou ordres professionnels) s’il n’avait auparavant saisi son entreprise ou administration et constaté que cela était resté sans effet. La directive laisse le choix, sans condition, entre ces deux canaux. La divulgation au public reste possible comme dernier recours si l’alerte n’a pas été traitée par les autorités dans un délai de six mois, sauf danger imminent.

D’autres amendements votés en commission font hurler le monde associatif. Les sénateurs ont retiré le bénéfice des mesures de protection que les députés avaient accordé aux « facilitateurs » que peuvent être les personnes morales de droit privé à but non lucratif qui aident un lanceur d’alerte dans ses démarches. Mme Di Folco y voyait le risque que le régime soit « détourné de ses finalités par des officines qui chercheraient à déstabiliser les administrations ou les entreprises françaises ».

Pour M. Zmirou-Navier, supprimer cette protection aux associations aurait au contraire « pour conséquence de dissuader nombre de citoyens, se sentant isolés et démunis, de porter un signalement visant à faire connaître aux pouvoirs publics des actes de nature à porter atteinte à la santé des personnes ou à la santé de l’environnement ».

Alors que la France devait transposer la directive européenne avant la fin de 2021, un désaccord entre députés et sénateurs risquerait de repousser cette loi à la prochaine législature. Un mauvais signal au moment de la présidence française du Conseil de l’Union européenne.

Source : Jean-Baptiste Jacquin

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