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Scandale de la Dépakine: Sanofi jugé responsable d’un manque de vigilance et d’information

Rfi

Sanofi, le plus grand laboratoire pharmaceutique français, a été jugé responsable d’un manque de vigilance et d’information sur les risques de la Dépakine, dans le cadre d’une action de groupe, la première dans le domaine de la santé. Ce médicament contre l’épilepsie peut, lorsqu’il est pris par une femme enceinte, provoquer des troubles chez l’enfant à naître. En France, il serait responsable de malformations chez 2 000 à 4 000 enfants et de troubles neuro-développementaux (baisse de QI, troubles du spectre autistique, etc.) chez 16 000 à 30 000 enfants.

La Dépakine a été mise sur le marché en 1967 en France. La molécule, le valproate de sodium, est d’abord destinée aux personnes épileptiques, puis également à celles atteintes de troubles bipolaires.

Cet antiépileptique important est commercialisé dans de nombreux pays du monde. Le problème est que, pris pendant la grossesse, il peut causer plusieurs types de malformations congénitales ainsi que des troubles neuro-développementaux chez l’enfant.

C’est ce qui est arrivé au fils unique de Nathalie Orti. Âgé de 15 ans aujourd’hui, il a des troubles de l’apprentissage et du comportement –le lien avec la Dépakine est fait plusieurs années après sa naissance.

►Réécouter : La Dépakine (Priorité Santé, 2016)

Lorsque Nathalie Orti envisage une grossesse en 2004, lorsqu’elle tombe enceinte l’année suivante, elle indique aux médecins qu’elle prend de la Dépakine contre son épilepsie. Ceux-ci ne lui parlent que du sur-risque de spina bifida pour l’enfant, une anomalie du tube neural.

Ils ne mentionnent aucun autre risque ; et dans la notice du médicament à cette période, il n’y a pas de précision en cas de grossesse. « Dans la notice, il était écrit uniquement de consulter son médecin, c’est ce que j’ai fait, j’ai consulté mes médecins et ils m’ont tous dit : « prenez de la vitamine B9 pour le spina bifida et tout ira bien ». Et comme pendant la grossesse, aux échographies, mon enfant n’avait pas de souci de malformation du tube neural, j’étais extrêmement bien rassurée », raconte-t-elle.

Peu de temps après la naissance de son fils, en mai 2006, Nathalie Orti s’inquiète. « On s’est rendu compte que mon fils était très hypotonique, qu’il ne bougeait pas et ne babillait pas. À l’âge d’un an, un neuropédiatre diagnostique un retard de développement global, et là, c’est tout qui s’effondre », poursuit-elle. « Aujourd’hui, j’ai beaucoup de colère de ne pas avoir été informée. Quand on regarde avec le recul, le laboratoire savait, on se rend compte qu’il y avait des études dans les années 1980, qui décrivaient des troubles neuro-développementaux, alors pourquoi n’a-t-on pas été informé ? Pourquoi n’y avait-il rien dans la notice ? », s’insurge Nathalie Orti.

Alors, que savait-on exactement sur les risques encourus dans les années 1980, 1990, puis au début des années 2000 ? Les informations destinées spécifiquement aux médecins ainsi que celles à destination des patients – via la notice – étaient-elles complètes, fidèles aux connaissances scientifiques ? Pourquoi ont-elles été transmises tardivement, pas avant 2006 ? Qui en porte la responsabilité ? Ces questions sont au cœur de l’affaire de la Dépakine.

Dans un rapport de 2016, l’Inspection générale des affaires sociales pointe un manque de réactivité, une inertie des autorités de santé et du laboratoire Sanofi. En 2020, le tribunal administratif a établi que l’État avait une part de responsabilité. 

La responsabilité de Sanofi

Le 3 janvier 2022, le tribunal judiciaire de Paris s’est prononcé sur la responsabilité de Sanofi dans le cadre de l’action de groupe initiée en 2017 par l’Apesac, l’Association d’aide aux parents d’enfants souffrant du syndrome de l’anti-convulsivant. Le laboratoire a « commis une faute en manquant à son obligation de vigilance et à son obligation d’information », tels sont les termes du jugement. La responsabilité du géant pharmaceutique est engagée sur la période 1984-2006 pour les malformations congénitales, et 2001-2006 pour les troubles neuro-développementaux.

Le géant pharmaceutique, qui a annoncé son intention de faire appel, affirme dans un communiqué qu’il nous a adressé, avoir « toujours été transparent, en alertant les autorités de santé et en sollicitant à plusieurs reprises des modifications des documents d’information de la Dépakine, à destination des patients et des professionnels de santé. Les documents d’information ont été modifiés conformément à l’évolution de l’état des connaissances et aux décisions des autorités de santé de l’époque. »

►À relire : Scandale de la Dépakine, l’Agence française du médicament mise en examen

Charles Joseph-Oudin, avocat de l’Apesac et de nombreuses familles de victimes, conteste vigoureusement cet argumentaire : « Quand le laboratoire dit qu’il a informé l’autorité de santé et qu’on va regarder dans le détail, et que les experts judiciaires vont regarder dans le détail, on trouve effectivement trace d’une information, mais d’une information parcellaire, voire trompeuse, et surtout d’une information qui n’est pas portée à la connaissance des femmes et des médecins. »

Pour l’avocat, « la portée symbolique de la décision du tribunal est immense, car elle vient contrecarrer la stratégie de déni de responsabilité du laboratoire Sanofi ». Il regrette toutefois que « les périodes retenues par le tribunal pendant lesquelles le laboratoire est responsable [soient] trop restrictives ». Ainsi selon l’Apesac, les risques neuro-développementaux étaient connus dès les années 1980, et le manque d’information a subsisté au-delà de 2006, année où le médicament est devenu déconseillé pendant la grossesse, sans qu’il ne soit fait mention dans la notice des risques encourus pour le fœtus.

Il faudra que la décision soit confirmée pour que l’action de groupe puisse effectivement s’ouvrir et qu’ainsi le sujet des réparations soit examiné. Mais « elle aura des conséquences sur les dossiers individuels », estime Me Charles Joseph-Oudin. De nombreuses procédures civiles sont en cours, lancées par des familles de victimes. 

L’indemnisation, sujet crucial

Marine Martin, mère de deux enfants atteints de troubles liés à la Dépakine, est la fondatrice de l’Apesac. C’est elle qui a lancé l’alerte en 2011 sur le manque d’information des patientes et qui s’est battue pour que cela change – depuis 2016 la prescription de Dépakine est clairement contre-indiquée aux femmes en âge de procréer. Elle a œuvré également pour que l’État mette en place un fonds d’indemnisation (l’État indemnisant la victime à la place de Sanofi si celui-ci refuse, puis se retournant contre le laboratoire, en justice) ; pour l’heure, peu de familles ont été indemnisées de cette manière.

Pour Marine Martin, le combat pour l’indemnisation est essentiel, et le laboratoire est en première ligne. « Il doit assumer ses responsabilités et indemniser les familles à la hauteur du préjudice subi, parce que nos enfants sont dépendants à vie, insiste-t-elle. Moi, c’est cela qui me préoccupe le plus ; quand je ne serai plus là, et en plus les femmes épileptiques n’ont pas une espérance de vie monstrueuse, qui s’en occupera ? Et c’est cela le but de l’indemnisation. »

Bien sûr, c’est important de faire reconnaître le préjudice, etc. mais le plus important est que nos enfants aient à vie des conditions décentes et une aide de vie qui leur fasse les repas et tout ce dont ils ont besoin

 Plusieurs procédures au pénal sont également en cours. En 2020, le laboratoire Sanofi a été mis en examen pour blessures involontaires, homicides involontaires et tromperie aggravée.

Source : RFI 

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