Dans la presse en 2020

Un chiffre qui fait mal

La Liberté : 03 Juillet 2020

 " Le scandale du valproate le montre: seuls 15% des effets indésirables des médicaments sont notifiés

PHILIPPE BOEGLIN

Santé » Un scandale et des drames. Depuis des années, les médicaments au valproate font souffrir des familles dans de nombreux pays, et la Suisse n’est pas épargnée. De graves troubles du développement ont été diagnostiqués chez des dizaines d’enfants, causés par la prise de ces antiépileptiques durant la grossesse. L’Office fédéral des assurances sociales a saisi la justice contre Sanofi, fabricant du médicament Dépakine, et des neurologues. Au parlement, la commission de santé publique du Conseil national s’est emparée de l’affaire. Certains accusent en outre l’autorité de surveillance Swissmedic d’avoir averti trop tard.

15%

des effets secondaires indésirables sont notifiés

La pharma et Swissmedic sont pointés du doigt, mais ils ne sont pas seuls à être impliqués. Le corps médical fait, lui aussi, l’objet d’interrogations. Il est en effet loin de signaler tous les effets secondaires indésirables des médicaments. Selon nos informations, seuls 15% environ sont notifiés, sur l’ensemble des médicaments. Or il est primordial d’annoncer les effets indésirables: cela permet de détecter rapidement les dangers de certains médicaments, d’en avertir le personnel de santé et, au bout du compte, de protéger les patients.

Une estimation
Confirmant ce taux de 15%, Swissmedic souligne qu’il s’agit d’une estimation. Elle a pris pour base des études internationales, qui concluent à une fourchette de 10 à 15%. Dans notre pays, aucune étude n’a été effectuée sur la problématique en général; seuls des aspects spécifiques ont été examinés.

Comment expliquer la faible quantité des signalements? Swissmedic se réfère aux professionnels du corps médical, qui «avancent les raisons les plus diverses». Au rang de celles-ci: certains médecins n’aiment guère annoncer un effet sans preuve définitive. Chez d’autres, le manque de temps et d’intérêt semble prépondérant – «la bureaucratie et les formulaires n’aident pas mon patient». Autre élément, le travail des «premiers lanceurs d’alerte» n’est pas rémunéré.

Les dangers pas ignorés

D’après Swissmedic, il faut ajouter la «fausse idée» que les médicaments présents sur le marché sont tous sûrs. Certains membres du corps médical craignent également de se retrouver entraînés dans une bataille juridique et de perdre la confiance des patients. D’autres ressentent de la culpabilité, ayant l’impression d’avoir causé des dégâts.

Au final, Swissmedic discerne «une réticence active à signaler un effet secondaire indésirable. Le travail administratif et le manque de rémunération sont régulièrement cités comme justification.»

Pourtant, légalement, le corps médical doit relever les effets indésirables des médicaments. «Depuis 2002, la loi sur les produits thérapeutiques contient une obligation de signalement pour les effets indésirables graves ou n’étant pas encore connus, poursuit Swissmedic. Sur le fond, les bases légales permettent de sanctionner. Mais il est difficile de prouver qu’il y a eu intention de ne pas annoncer un effet indésirable.»

Méthodologie contestée
La Fédération des médecins suisses (FMH) a un point de vue différent. «La méthodologie utilisée pour affirmer que seuls 15% des effets indésirables sont signalés nous semble hasardeuse. Cette méthode repose en effet sur une comparaison internationale visant à estimer combien il pourrait y avoir d’effets indésirables en Suisse, puis le chiffre obtenu est comparé au nombre de cas effectivement signalés. Ces 15% sont donc tout sauf certains.»

« J’attends de Swissmedic des propositions à l’attention de tous les acteurs, pas seulement des médecins »

Benjamin Roduit

L’organisation ajoute que «dans la plupart des cas, il n’est pas possible de conclure aussi clairement que l’on est en présence d’effets indésirables. Lorsque les patients suivent un traitement médical, ils ont souvent plusieurs symptômes voire plusieurs maladies. Or chaque personne réagit différemment aux médicaments. Si les symptômes changent après la prise de médicaments, il peut être extrêmement difficile d’évaluer ce qui les a provoqués et s’il s’agit ou non d’effets indésirables.»

Pour remédier au faible taux de signalements, la FMH préconise une collaboration avec notamment Swissmedic. «La FMH soutient l’autorité de surveillance, en informant ses membres par ses canaux de communication en cas de nouveaux signalements importants ou graves.» La fédération le souligne: «Les médecins ont un grand intérêt à signaler les effets indésirables des médicaments. Le meilleur moyen d’obtenir le taux de signalement le plus élevé possible est une approche synergique qui commence à l’université», ainsi que «la sensibilisation continue de la profession médicale».

Les élus s’en mêlent
Au Parlement fédéral, des élus ne comptent pas en rester là. C’est le cas de Benjamin Roduit (pdc, VS), de la commission de santé publique du National: «Ce taux de 15% ne va pas. J’attends de Swissmedic des propositions à l’attention de tous les acteurs, pas seulement des médecins, mais aussi de la pharma notamment, afin que les signalements des effets indésirables augmentent.»

Trois questions à Simon Zurich

Vice-président de la section romande de la Fédération suisse des patientsSeuls 15% des effets indésirables sont notifiés. Cette proportion vous étonne-t-elle?Non, pas du tout, même si seuls les cas problématiques nous sont annoncés. Nous n’avons donc pas une vue d’ensemble. Le manque d’annonces des effets secondaires ou des problèmes en général ne concerne pas seulement les médicaments, mais les produits thérapeutiques au sens large, comme les implants. Et il touche autant les médecins que les hôpitaux. Si les raisons du manque de notifications ne sont pas toujours claires, des conflits d’intérêts semblent être régulièrement en cause.Comment cela?Dans les cantons, exclusivement alémaniques, où les médecins peuvent vendre les médicaments en cabinet, le risque de voir une préparation prescrite parce que le médecin aura eu un contact avec le fabricant est plus grand. Mais le problème ne réside pas seulement chez les médecins ou dans les hôpitaux: Swissmedic ne réagit pas non plus suffisamment lorsque les cas sont annoncés. Nous souhaiterions que le suivi soit plus rapide et qu’il y ait davantage d’investigations. Enfin, il est absolument nécessaire que les patients qui sont potentiellement concernés parce qu’ils prennent le médicament en question soient rapidement informés des risques et puissent procéder aux examens nécessaires.Que proposez-vous pour améliorer le taux de notifications?La culture de la qualité est essentielle. Le Conseil fédéral a du reste recommandé, il y a plusieurs années, d’intégrer les associations de patients aux structures hospitalières. A ma connaissance, cela n’a pas encore été fait. Nous reviendrons aussi à la charge avec nos propositions d’instaurer une déclaration obligatoire des liens d’intérêt dans les cabinets et dans les hôpitaux. Un amendement dans ce sens avait été accepté par le Conseil national lors de la révision de la loi sur les produits thérapeutiques, mais rejeté aux Etats. Si les patients savent que leur médecin travaille avec telle ou telle entreprise, ils pourront aussi poser davantage de questions. ARIANE GIGON

Source : La Liberté