Dans la presse en 2019

Lanceuses d’alerte, elles ont fait bouger la médecine : 12 femmes racontent leur combat

 Le Parisien

Ces douze lanceuses d’alerte ont arraché des avancées dont nous tous profitons aujourd’hui. Un livre, publié ce mercredi, dont nous dévoilons des extraits en exclusivité, retrace leur combat.

 )Photo groupe Le parisien

 De gauche à droite, et de haut en bas : Juliette Boudre, Laurence Cottet, Marie-Hélène Lahaye, Marine Martin, Marielle Klein, Joëlle Manighetti, Pamela Solère, Karen Libutti, Chantal L’Hoir, Marion Larat, Aurélie Joux, Anny Duperey. Aura Constantin

Sur la couverture du livre, les sourires généreux se mêlent à des regards plus durs, parfois frondeurs. Dans les yeux de ces douze femmes, qui posent, côte à côte, bras dessus, se lisent à la fois la colère et l'espoir. « Les Résistantes, 12 femmes qui font bouger la médecine » (Harper Collins, 217 pages, 16 euros), l'enquête de notre collaboratrice, Florence Méréo, qui paraît ce mercredi, met en lumière ces femmes, la plupart de l'ombre, héroïnes du quotidien au courage vibrant, qui, après avoir été victime d'un médicament, d'un dispositif médical, d'une mauvaise pratique, ont forcé le monde de la santé à bouger.

Souvent sans réseau ni argent. Pour elles et surtout pour les autres. Et parce que ce sont elles, les femmes, qui ont payé le plus lourd tribut des dernières crises sanitaires.

Dans une galerie de portraits bouleversants, ces lanceuses d'alerte, simples citoyennes de 32 à 82 ans, rencontrées partout en France jusqu'à la Belgique, raconte la bataille de leur vie. Comment elles ont bousculé le corporatisme médical, débusqué un scandale sanitaire, obtenu la condamnation d'un hôpital, d'un industriel, malgré leur armée d'avocats, fait retirer un médicament du marché contre vents et marées jusqu'à être qualifiées « d'emmerdeuses ». Elles n'ont pas la légitimité de la blouse blanche, mais l'expérience du vécu. Et pour être écoutées, elles l'ont appris à leurs dépens, il faut parfois hurler longtemps dans le silence.

Dans son blog, Marie-Hélène Lahaye, 46 ans, a dénoncé « le modèle fordiste » de l'accouchement, ouvert la voie à un débat national sur les violences gynécologiques. Aurélie Joux, 37 ans, a réussi à prouver que son petit Timéo était né handicapé à cause du Cytotec, un médicament administré pour déclencher un accouchement. Depuis le 1er mars 2018, le labo l'a retiré du marché.

Joëlle Manighetti, 63 ans est devenue la porte-voix des victimes des prothèses mammaires PIP. Quant à Juliette Boudre, 50 ans, depuis la mort de son fils Joseph à cause d'une overdose d'anxiolytiques et d'opiacés, elle court les écoles pour alerter. D'elle, une amie confie : « Joseph a transformé sa mère. Il ne l'a pas éteinte, mais il lui a donné la force de rebondir et d'aider les autres. On ne l'arrête plus. »

Derrière chaque combat, apparaît le visage d'une résiliente, une voix, parfois brisée, une personnalité avec ses aspérités. Le récit, loin d'être manichéen, pose la question de la place de la patiente et pointe l'attentisme des autorités dans bien des cas. Pourquoi lorsqu'un médicament est interdit aux Etats-Unis, est-il encore vendu des années en France sans qu'aucune voix ne s'élève ?

Leur témoignage, dont nous publions ici des extraits en exclusivité, suivi de leurs conseils pour devenir lanceuse d'alerte, incite le lecteur à s'interroger : sommes-nous toutes des héroïnes insoupçonnées comme Marielle Klein, qui osait à peine prendre la parole pendant les réunions parents-profs. Devenue militante acharnée, elle a réussi à mener un combat qui a abouti à l'arrêt de la commercialisation des implants contraceptifs Essure. Et nous, que pouvons-nous faire à notre échelle?

Ce livre a permis à chacune d'elles de se rencontrer et se découvrir. « Nous sommes toutes un peu cousines », résume Marine Martin, qui a révélé le scandale d'un antiépileptique. De leur amitié naissante, est déjà en train de naître une nouvelle histoire des résistantes.

 

  • Alcoolisme

Laurence Cottet : «Nos autorités ne savent pas communiquer, alors moi je bouge !»

Laurence Cottet est tombée. D'un seul coup. De tout son long. Devant 650 personnes. C'était le 23 janvier 2009, à 12h30, à la cérémonie des vœux de l'entreprise Vinci, où le champagne, comme les discours, coulait à flots. Ivre morte, elle est restée à terre pendant une poignée de minutes aux allures d'éternité. L'alors cadre supérieure, en tailleur BCBG, voyait son alcoolisme éclater au grand jour sous les yeux de ses collègues, de ses directeurs, de son DRH. Quelques semaines plus tard, elle acceptait de ne pas faire de vagues, comme on dit, et de quitter la boîte. Sans au revoir.

De cet enfer, la quinquagénaire aurait pu ne pas se relever, traînant à jamais ses spasmes et son humiliation. Seule devant la rame de métro Denfert‑Rochereau, à Paris, elle aurait pu mettre ses idées noires à exécution. Mais Laurence a « oublié de se suicider », explique-t-elle mécaniquement. Elle a préféré tracer une autre route. Témoigner pour s'aider, et aider les autres.[…] « Nos autorités ne savent pas communiquer sur le sujet de l'alcool. De leur côté tout est immobile. Alors, moi, je bouge!

Après la rupture à l'amiable de son contrat chez Vinci en 2009, Laurence a passé un CAP de boulangerie. […] Puis elle s'est armée pour faire avancer son combat de l'intérieur et est retournée sur les bancs de la fac. Titulaire d'un diplôme universitaire (DU) de pratique addictive et d'un autre d'éducation thérapeutique, elle est aujourd'hui intégrée au service d'addictologie du CHU de Grenoble comme patiente experte, un nouveau concept qui se développe en France. Tous les mardis, elle participe au staff de l'équipe de soignants, rencontre des malades, seuls ou en groupe. […]

— Je pense qu'avant, je m'emmerdais. Aujourd'hui, ce n'est plus le cas. J'ai une vie avec beaucoup moins d'argent, je n'ai pas d'emploi rémunéré, mais je fais ce que j'aime et je profite de ce que j'ai, résume celle qui rêve de CV à l'américaine où indiquer être sorti d'une addiction serait un atout et non un tabou. […]

Elle n'a plus peur de regarder loin, fixe déjà son nouvel objectif : réussir son « Janvier sobre 2020» qu'elle veut ériger en « Mois national prévention alcool », avec des actions et défis sur tout le territoire. Elle donnera le top départ de cette initiative citoyenne au lendemain de la Saint‑Sylvestre.

Les chiffres sont là : l'alcoolisme fait 41 000 morts par an, dont 11 000 femmes. Argument béton pour que son cri d'alarme ne reste pas une bouteille à la mer.

Le conseil de Laurence Cottet 

« J’ai choisi d’utiliser Facebook pour diffuser mon message. C’est un bon outil que je recommande car il permet de toucher plusieurs générations. J’ai créé simplement une page, fait moi-même les photos. Je conseille ne pas être dans le harcèlement : un écrit, maximum deux par jour, suffisent. Entretenez le débat, relancez par des questions ouvertes, maintenez un bon niveau intellectuel sinon vous perdrez un public exigeant. »

 

  • Lévothyrox

Anny Duperey et Chantal L'Hoir : «Le mépris des malades me met hors de moi»

La scène parisienne versus le resto de Gascogne : les mondes opposés d'Anny et de Chantal se sont percutés lorsqu'un petit cachet a déclenché, en France, un mouvement inédit de protestation. Leurs voix, unies pour l'occasion, y sont pour beaucoup. Pourtant, de tous les rôles, jamais Anny n'aurait pensé tenir celui de lanceuse d'alerte.

Cela m'emmerde profondément, précise-t-elle d'emblée. C'est du temps volé à d'autres activités […]. Mais le mépris des malades me met hors de moi. Je suis […] seulement un vecteur médiatique qui, pas de chance, n'aime pas qu'on lui dicte sa conduite.

Leur histoire a pour dénominateur commun le Levothyrox, star des pharmacies. Jusqu'en 2017, ses 3 millions d'utilisateurs le plaçaient dans le trio de tête des médicaments les plus prescrits en France. Aujourd'hui, 2,5 millions de personnes, dont une très grande majorité de femmes (85 %), ingèrent tous les jours la pilule blanche bon marché qui compense l'absence ou la défaillance de leur thyroïde. […]

Anny Duperey en prend depuis une quinzaine d'années, quand la ménopause a provoqué un manque de sécrétion d'hormones par sa thyroïde. Chantal L'Hoir depuis 1990, lorsqu'une thyroïdite de Hashimoto, une maladie auto-immune, lui a été diagnostiquée. […]

Le 1er avril 2017, Merck a modifié la formulation de son produit vedette […]. Résultat : un médicament plus stable dans le temps et plus sûr, revendiquaient à l'unisson – et affirment toujours – l'ANSM, agence en charge de la sécurité du médicament en France, et le laboratoire. Problème, pour des milliers de malades, la nouvelle pilule n'est pas passée. Vertiges, maux de tête, épuisement, perte de cheveux, de mémoire, dépression, douleurs musculaires… Les signalements ont afflué auprès des autorités qui ont minimisé leur nombre ahurissant : 31 400 au dernier comptage effectué par les centres de pharmacovigilance […].

— Toi, tu as ressenti quoi exactement ? demande Chantal […].

— Je tournais des épisodes d'« Une famille formidable » entre la France et le Portugal. Ma vision était floue, brouillée. J'ai eu des vertiges soudains, des malaises très inquiétants, au point d'être embarquée par les pompiers. […] Cela a duré des mois, jusqu'à ce que je fasse le lien avec le nouveau Levothyrox […].

— Je ne supporte pas les injustices, surtout quand elles sont faites aux femmes. Il y a pour moi de la violence dans cette affaire Levothyrox : ne pas croire les patientes, dire qu'elles sont trop sensibles, trop angoissées, trop hystériques, relève d'une insupportable négation de l'autre. […] Je veux savoir ce qui s'est passé avec ce médicament et pourquoi nous sommes des milliers à en avoir été otages.

Le conseil d’Anny Duperey 

« Lancer l’alerte est une chose, mais il faut que vous fassiez attention aux termes employés pour ne pas déclencher de peur panique, et déraisonnable. Cela vaut surtout pour les médicaments qui ont une importance vitale pour les patients. User de propos effrayants, complotistes, pourrait vous rendre responsable d’un arrêt brutal de traitement par certains. Concernant le Levothyrox, je me suis formellement interdit de prononcer des mots comme empoisonnement, même lorsque j’étais au plus mal. »

 

  • Dépakine

Marine Martin : «On m'a volé le visage de mes enfants»

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C'est elle qui a révélé la dangerosité, pour les femmes enceintes, de ce médicament antiépileptique. Fabriqué par le laboratoire Sanofi, il peut provoquer des malformations et des troubles neurologiques graves, dont l'autisme, chez les bébés qui y sont exposés dans le ventre de leur mère. Des enfants ont été touchés. Les siens, Salomé et Nathan, n'ont pas été épargnés, handicapés par les comprimés blancs qui soignaient l'épilepsie de leur maman. Comment aurait‑elle pu savoir que son indispensable traitement attaquait les petits êtres qu'elle couvait? Comme eux, on estime entre 15 300 et 30 600 le nombre de victimes, dont près de la moitié sont encore susceptibles aujourd'hui de demander réparation.

Avec son tempérament de feu, l'habitante du Sud-Ouest a déjà obtenu beaucoup. Elle peut se féliciter d'avoir préservé des vies. […]

Regardez vos boîtes de comprimés, vos sirops, vos pastilles pour la gorge… Depuis octobre 2017, 60 % des médicaments comportent un pictogramme qui ressemble à un panneau de signalisation : rond avec une femme enceinte barrée ou triangulaire. Le premier indique que le médicament est « interdit » pendant la grossesse. Le second, qu'il présente un risque. Ces pictogrammes sont le fait d'armes de Marine Martin. Après avoir obtenu leur apposition sur les emballages de valproate de sodium (Dépakine, Dépakote, Dépamide), elle a convaincu la Direction générale de la santé de les généraliser sur tous les médicaments :

— Il était lamentable qu'il y ait des logos sur les bouteilles d'alcool ou les paquets de cigarettes pour alerter les femmes enceintes et rien sur les médicaments. Le pictogramme permet de voir en un coup d'œil s'il y a danger, s'enthousiasme-t‑elle. […]

Parfois, elle se demande comment elle tient. Huit ans à ferrailler, c'est long. Et puis, elle ouvre ses albums photo, commente enjouée ses voyages en famille aux États-Unis ou au Viêt Nam. Elle montre surtout les centaines de clichés pris lors des événements organisés par son association. On lui demande d'arrêter de tourner les pages : un détail frappe, hypnotise presque. Une photo de groupe. D'enfants et d'adolescents. Des petits visages comme clonés. Clément, Julie et les autres ressemblent trait pour trait à Nathan et à Salomé, son fils et sa fille. Même nez large épaté, même lèvre supérieure fine, même yeux étirés, écartés, cachés derrière des lunettes.

— Oui, il y a un faciès Dépakine, confirme Marine.

Des médicaments dont les effets indésirables ont été tus ont laissé leur empreinte indélébile. Un visage Dépakine, un cœur Mediator, un utérus Distilbène. Pour la maman, pas de doute :

— On m'a volé le visage de mes enfants

Le conseil de Marine Martin 

« Vous êtes beaucoup questionnés : politiques, institutions, journalistes. Je conseille de ne jamais donner d’explication compliquée, pas d’acronyme incompréhensible. Peu importe où l’on essaie de vous emmener, placez coûte que coûte les deux, maximum trois points essentiels que vous voulez faire passer. Notez-les avant pour ne pas les oublier et dites-les doucement, mais fermement. Cela demande de l’entraînement, car tout est intimidant au début, mais cela devient vite naturel. »

 

Source : Le Parisien, Elsa Mari