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Dépakine : une famille face au juge

Le JDD

Scandale : Depuis 2014, des victimes cherchent à obtenir réparation, mais lajustice est lente. Une audience importante se tient mardi à Nanterre.

gossetLe procès-fleuve du Mediator s’ouvrira en fanfare au tribunal correctionnel de Paris le 23 septembre. Avant cela, mardi, des victimes de la Dépakine, un scandale moins médiatique, vont, elles, tenter d’ébranler en catimini la justice civile. Deux couples demandant réparation pour leurs enfants verront leur dossier étudié au tribunal de Nanterre (Hauts-de-Seine). Un juge de la mise en état examinera les arguments des plaignants et ceux du laboratoire Sanofi, qui commercialise ce médicament également vendu sous forme de générique par d’autres sociétés. « Comme dans le volet civil de l’affaire du Mediator, nous demandons des provisions financières, explique Charles Joseph-Oudin, leur avocat. Ça peut donner du souffle à mes clients pour continuer un combat long et pénible. »

Selon les autorités de santé, la Dépakine, médicament contre l’épilepsie longtemps prescrit à tort à des femmes enceintes, peut causer chez le bébé de graves malformations (10 % des naissances), mais aussi des troubles de l’attention, du langage ou du spectre autistique (30 % à 40 % des naissances). Une étude de l’Assurance maladie et de l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) a estimé que la molécule (valproate de sodium) commercialisée depuis 1967 était responsable de malformations chez 2 150 à 4 100 enfants, et de troubles du développement chez 16 600 à 30 400 enfants.

Le fils et la fille d’un des couples convoqués mardi à Nanterre sont respectivement nés en 2001 et en2003. Scolarisé dans un institut médico-éducatif en Bretagne, où il vit avec ses parents, Raphaël sait lire, écrire et compter, mais il souffre d’importants troubles de l’attention.« On espère qu’il trouvera un jour un travail, souffle son père, ingénieur informaticien. En milieu normal si possible. » Pour sa cadette, Julie,l’avenir s’annonce « moins rose », dit le père dans un euphémisme poignant. La jeune fille est autiste ; il y a très peu de chances qu’elle vole un jour de ses propres ailes. «On veut juste qu’elle soit bien, résume sa mère. Si on obtenait des indemnités, ça lui permettrait de se débrouiller quand on ne sera plus là. » Dans ce dossier, il ne fait pas de doute que la Dépakine est à l’origine de graves atteintes, même si les experts ne lui imputent pas toutes les difficultés des enfants. « Les médecins confirment ce que nous savions, soupire la mère. Au moment de la révélation du scandale, on a reconnu les symptômes de Raphaël et de Julie. Et, à la première réunion organisée par l’association de victimes Apesac, j’ai compris que tous nos enfants se ressemblaient.» Les experts retiennent ce faciès particulier (yeux écartés, front bombé) comme un élément à charge contre le médicament. Tout l’enjeu des procédures civiles, comme de l’instruction pénale ouverte à Paris, consiste à déterminer si le laboratoire connaissait la dangerosité de sa molécule. Me Joseph-Oudin rappelleque le risque de malformation physique a émergé dans la littérature médicale dès les années 1970.Idem, selon lui, pour les troubles du développement : le signal d’alerte aurait été perceptible à partir de 1984, et certain au tout début des années 2000 – donc avant la naissance de Raphaël et de Julie. C’est pourquoi il accuse Sanofi d’avoir tardé à réagir et d’avoir « minimisé » le danger. « Pendant sa grossesse, ma cliente n’a pas été informée des risques, plaide-t-il. La notice était défectueuse, tout comme le médicament. »

L’enjeu de ces procédures est de déterminer si Sanofi connaissait la dangerosité de sa molécule

L’épais rapport d’expertise semble accréditer la thèse d’un retard d’information. « Entre 2001 et 2002, écrivent les médecins, il existait des doutes extrêmement sérieux faisant suspecter une relation entre exposition à la Dépakine et troubles neurodéveloppementaux. Ces doutes n’étaient pas retranscrits ni dans les RCP [résumés des caractéristiques du produit publiés par l’Agence de sécurité du médicament] destinés aux médecins ni dans la notice d’information destinée aux patients. » Mais les experts ne s’estiment pas compétents pour dire si ces délais relèvent de la responsabilité du laboratoire ou de celle de l’autorité sanitaire. Mardi à Nanterre, les représentants de Sanofi martèleront qu’ils détiennent « les preuves » pour démontrer que celle-ci, bien qu’informée « en toute transparence », a refusé de modifier les notices. Ils affirmeront, comme ils le font depuis le début de l’affaire, que l’État est seul responsable de ce scandale sanitaire. Ce ni-responsable-ni-coupable n’a pas convaincu la cour d’appel d’Orléans. Le 20 novembre 2017, elle a condamné le groupe pharmaceutique, pour la « défectuosité de son produit », à verser 2 millions d’euros à la famille d’une victime. Même si le laboratoire a formé un pourvoi en cassation, cette décision nourrit les espoirs des parents de Raphaël et de Julie. Quant à Marine Martin, la lanceuse d’alerte de la Dépakine, elle reprend ce mois-ci son siège des autorités sanitaires. « Le dispositif d’indemnisation à l’amiable pour les victimes qui ne vont pas devant les tribunaux ne fonctionne pas, s’agacet-elle. On ne peut pas se contenter d’indemnisations au rabais. »

Source : Le JDD, Anne-Laure Barret

 

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