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Rejets toxiques à Mourenx (64) : « On ne peut accuser l’administration de vouloir cacher des choses »

Sud Ouest 

Le préfet Gilbert Payet (à gauche) et les agents de la Dreal des Pyrénées-Atlantiques

 DAVID LE DEODIC

 Le préfet des Pyrénées-Atlantiques, Gilbert Payet, a répondu à nos questions sur les rejets de l’usine Sanofi Chimie de Mourenx. Il confirme que cela durait depuis 1980, mais en tempère la gravité : « Des rejets, ce n’est pas en soi un problème majeur. Le problème, c’est « quel danger pour l’homme ? » »

Trois mois après la révélation par Mediapart du scandale des rejets toxiques de l’usine Sanofi Chimie de Mourenx, le préfet Gilbert Payet a accepté de nous recevoir pour nous confier les résultats des évoquer sous ses différents aspects ce dossier plus que sensible.

Où en sont les rejets de l’usine Sanofi Chimie de Mourenx?

  

Après le constat de dépassements très importants de la norme du bromopropane, jusqu’à 90 000 fois la norme, on se demandait si Sanofi allait parvenir à réduire ses émissions. Finalement, leur dispositif [des filtre à charbon, ndlr] a été très efficace.

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Le deuxième problème, qui est plus complexe, concerne le valpoate de sodium [la substance active de la Dépakine, ndlr]. Il n’existe pas de norme, mais on constate qu’ils en rejettent de grandes quantités – de 13 à 20 tonnes par an. Cela faisait beaucoup, notamment compte tenu de l’évolution de la connaissance de cette substance, des prescriptions de plus en plus strictes de précaution pour les femmes en âge de procréer, puisque c’est un médicament qui a des effets sur le fœtus.

Nous avons demandé à Sanofi de se référer à un labo pour calculer une valeur toxicologique de référence (VTR). Les autorités travaillent également à l’établissement d’une VTR, mais il leur faudra à peu près 18 mois pour avoir une VTR « officielle ».

Comment avez-vous fixé la limite de rejets pour la reprise de l’activité?

En appliquant un certain nombre de précautions. Nous sommes par exemple passés par exemple, pour les rejets dans le voisinage, d’une marge d’un facteur 100 à une marge de 1000. C’est-à-dire que si la dose considérée comme dangereuse est de 1000, on va considérer que la dose acceptée est de 1.

  

Après avis d’experts nationaux (Anses et Ineris), on a pris la décision de permettre le redémarrage, sur la base des propositions de Sanofi (qui utilise une modélisation de l’Ineris), avec plafond de rejet de 200 g/heure sur 24 heures, et un plafond de 360g/heure.

 Malheureusement, les premiers tests ont révélé que l’usine s’avérait incapable de respecter ces plafonds. Ils nous ont présenté une demande de dérogation pour effectuer des tests. La difficulté qu’ils ont rencontrée n’est pas que théorique : ils ont mis en place de nouveaux outils, en particulier un dévésiculeur, et sont conduits à modifier un certain nombre de paramètres (chaleur, acidité, humidité, etc.).

 Hors dès qu’ils constataient un dépassement d’émission de valproate de sodium, ils arrêtaient tout. Donc on leur a donné la possibilité de dépasser ces plafonds, avec de nouveaux seuil temporaires, limités dans le temps, d’1kg/h au lieu de 200 g/h. Un plafond d’1,2 kg/h au lieu de 360 g/h maxi sur une période d’1h30.

 Si on l’a fait, c’est que les mesures faites pendant les phases de reprises convergeaient sur un point : les mesures réelles, au niveau des habitations et même à l’intérieur de l’usine, étaient inférieures aux seuils de dangerosité. C’est pour cela que l’autorisation a été donnée, moyennant un renforcement des points de mesure.

Pourquoi ne réussissent-ils pas à abaisser ces rejets ? 

 Au début, leurs réglages permettaient de descendre en-deçà de 100 g/h, mais en modifiant les paramètres de production du médicament, à tel point que cela ne correspondait plus à l’autorisation de mise sur le marché (AMM) et ne pouvait pas être vendu. On ne peut pas imaginer qu’une usine ne pollue pas… mais produise quelque chose qu’on ne puisse exploiter.

 Après deux semaines, ils sont passés à une production normale, exploitable. Leurs résultats sont pour l’instant toujours conformes à la norme de 200 g/h, sauf une fois où un contrôle a montré 430 g/h, le 25 septembre [l’unique contrôle inopiné de cette deuxième quinzaine de septembre, ndlr].

Quelles sont aujourd’hui leurs obligations ?

 On leur permettra d’avoir des dépassements ponctuels pendant un mois supplémentaire afin de finir les réglages. A compter du 19 octobre, c’était prévu dans l’arrêté, on divisera par deux le pic maximal de rejets.

On ne peut pas accepter qu’une unité de production – qui n’est pas à l’abri, demain, d’un accident industriel, d’un incendie, par exemple – produise 80 % de la Dépakine vendue dans le monde »

Sanofi n’a-t-il pas l’obligation d’avoir une autre unité de production en cas de problème ?

Cela fait partie des discussions au niveau national, entre la Direction générale de la santé et Sanofi.

On ne peut pas accepter qu’une unité de production – qui n’est pas à l’abri, demain, d’un accident industriel, d’un incendie, par exemple – produise 80 % de la Dépakine vendue dans le monde, et qu’on soit tellement exposés à ces variations de production.

 D’où nos demandes de constitution d’un minimum de stock, et de faire des propositions pour avoir une meilleure répartition de la prod sur plusieurs sites.

 On parle de quelques mois de stock…

Ce qu’on sait, c’est que quand l’usine a été mise à l’arrêt, le 13 juillet [il avait été à l’époque annoncé le 9 juillet, ndlr], on considérait que les stocks allaient être totalement épuisés, avec un risque de rupture au plus tard au mois d’octobre. De toute évidence, on avait trois à quatre mois…

Aujourd’hui, on entend beaucoup parler de problématiques d’approvisionnement de médicaments. Ma réaction serait plutôt de m’étonner qu’on puisse avoir trois mois de stock ! Tout le monde fonctionne à flux tendu – à commencer par les circuits de distribution. Le but, c’est d’essayer d’accroître cette marge-là.

L’administration a-t-elle cherché à cacher cet état de fait ?

Sur un sujet comme cela, on peut accuser l’administration de tout, sauf de vouloir cacher des choses, notamment s’agissant des mesures.

Quand on a une information, soit elle mérite une intervention en urgence extrême – et les mesures sont tellement urgentes que la population est au courant dans l’heure qui suit, cela signifie qu’on a un problème de santé publique majeure. Soit on respecte d’abord les principes d’information des personnels, de la commission de suivi de site, et cela nécessite quelques jours. Moyennant quoi, on n’a aucun secret sur les mesures. La preuve ! [le préfet Payet nous fournit les rapports de mesures].

A quand remontent les rejets ?

[les ingénieurs de la Dreal répondent] L’existence des rejets eux-mêmes remonte au procédé technique. Et cette usine fonctionne en l’état depuis les années 1975–1980 [ouverture de l’usine en 1978, mise en place du procédé, 1980].

Données avérées depuis 2014 pour le valproate de sodium, et depuis début 2018 pour le bromopropane, mais la technologie est en place depuis quatre décennies et n’a probablement pas varié. Il n’y a pas de raison de considérer que les rejets n’existaient pas avant ces dates, dans les proportions indiquées – mais en prenant en compte les variations de production.

Quelle est la dangerosité de ces rejets ?

[le préfet reprend la parole] On est face à un médicament pour lequel la principale inquiétude concerne les effets mutagènes et reprotoxiques.

 L’un des arguments majeurs de Sanofi pour dire que ce n’est pas dangereux, c’est de dire que les mesures dans l’environnement – c’est à dire chez les voisins, sont bonnes.

Prenez par exemple le bromopropane. On en rejetait 90 000 fois la norme [190 000 fois, selon les première révélations, ndlr]. La question, pour moi, c’est l’impact ! Quel est le danger ? C’est  produit particulièrement volatil. Effectivement, vous pouvez en rejeter des centaines de tonnes, le voisinage n’en souffrira pas forcément. Néamoins, c’est un rejet dans l’atmosphère et c’est anormal et on doit y mettre un terme.

Avoir des rejets, ce n’est pas en soi un problème majeur. Le problème, c’est « quel danger pour l’homme ? Pour l’environnement ? »

En tout état de cause, on a dans la zone, compte tenu de l’ensemble des problèmes qu’on a recensés depuis des années, plusieurs études sanitaires qui sont en cours. Pas pour savoir quelles sont les conséquences du chrylonitril, du bromopropane, du HCL ou du valproate : ce sont des études sanitaires pour voir si la population de la zone souffre d’affections dans un taux supérieur à la population normale.

 Avoir des rejets, ce n’est pas en soi un problème majeur. Le problème, c’est « quel danger pour l’homme? Pour l’environnement ?

Y a-t-il un volet d’étude sur les conséquences sur les nouveaux-nés ?

 Il est forcément intégré. Quand on fait une étude sur une dizaine d’années, par définition, on prend en compte les naissances.

 Par ailleurs, nous sommes en train d’engager avec les industriels – et cela fera l’objet d’arrêtés préfectoraux – une recherche un peu tous azimuts, tous produits. Pour voir si, maintenant qu’on vient de traiter le valproate et le bromopropane, il n’y a pas, chez Sanofi comme ailleurs, des choses…

 Avec une double approche, d’abord du côté de tous les industriels de la zone, une recherche élargie des rejets, et par ailleurs une amélioration de la surveillance de la qualité de l’air.

Gabriel Blaise

Source . Sud Ouest

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