Dans la presse en 2018

Dépakine : après le drame sanitaire, le scandale environnemental

Libération

L’usine Sanofi qui fabrique le médicament est accusée de rejets de polluants potentiellement dangereux pour les travailleurs et les riverains. Le gouvernement donne trois mois au groupe pour revenir aux normes.

Le scandale de la Dépakine, cet anti-épileptique produit par Sanofi et accusé d’avoir entraîné de graves malformations et troubles mentaux chez des milliers d’enfants dont la mère prenait ce médicament enceinte, a pris une nouvelle dimension. Le géant pharmaceutique français fait désormais face à une alerte rouge environnementale provoquée par les rejets toxiques provenant de la fabrication de la Dépakine dans son usine de Mourenx, dans les Pyrénées-Atlantiques.

Que s’est-il passé à l’usine de Mourenx ?

C’est l’association France Nature Environnement (FNE), qui a tiré la sonnette d’alarme lundi en faisant état de rejet de «matières dangereuses à des taux astronomiques» sur son site de Mourenx. Et ce, dans le sillage d’un article de Mediapart, qui révélait que cette pollution atmosphérique avec des solvants chimiques potentiellement cancérogènes était connue depuis des mois. Tout comme les «écarts hallucinants» entre les concentrations autorisées et celles constatées à la sortie des cheminées de l’usine. Devant le tollé, le groupe a annoncé l’arrêt de la production du site en vue «d’opérer les améliorations techniques indispensables à un retour à la normale». Mardi, le gouvernement lui a donné trois mois pour revenir aux limites d’émission de rejets toxiques : «Toutes les conditions en matière d’émissions et d’absence de risques pour les salariés et les riverains devront être réunies pour que l’Etat puisse autoriser une reprise de l’activité du site».

Les autorités étaient- elles au courant ?

Oui. Dans un rapport daté du 14 avril rédigé à la demande de la préfecture des Pyrénées-Atlantiques, la Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (Dreal) avait révélé l’ampleur des rejets. En théorie, l’usine de Mourenx était autorisée à émettre «cinq composés organiques volatils [bromopropane, toluène, isopropanol, valéronitrile et propène, ndlr]dans l’air dans la limite globale de 110 mg/m3».Mais les mesures ont fait apparaître qu’elle émettait en réalité«770 000 mg/m3, soit 7 000 fois plus que la norme autorisée».Le cas du bromopropane - l’un des composants chimique de la Dépakine - a particulièrement alarmé les autorités : les contrôles ont pointé des dépassements allant «de 90 000 à 190 000 fois la norme».Alors qu’un arrêté préfectoral limitait les émissions de bromopropane à 2 mg/m3, elles«atteignaient plus de 180 g/m3, soit 90 000 fois plus en octobre 2017», écritMediapart.Et de nouvelles mesures réalisées en mars 2018 ont fait exploser les compteurs à«380 g/m3, c’est-à-dire 190 000 fois plus».

Quels sont les risques pour la santé ?

Potentiellement graves. Tous les composés identifiés sont des dérivés d’hydrocarbures pouvant créer des problèmes respiratoires et potentiellement cancérogènes. Le bromopropane inquiète le plus, compte tenu des concentrations hallucinantes détectées, même si les rejets en sortie de cheminée sont dilués dans l’atmosphère. Selon l’Institut national de recherche et de sécurité (INRS), cet hydrocarbure bromé est «très inflammable» (y compris sous forme de vapeur), il peut «nuire à la fertilité et au fœtus», provoquer «de sérieuses irritations des yeux, des voies respiratoires et cutanées» ou encore «des vertiges et des nausées». Plus grave encore, une étude réalisée en 2016 par des experts du Centre international de recherche sur le cancer (Circ) auprès des travailleurs de la pétrochimie, a conclu au caractère cancérogène du bromopropane. Or, «des métabolites du bromopropane ont été détectés dans l’urine des travailleurs exposés».

Quelle est la responsabilité de Sanofi ?

Elle est entière, selon la FNE. «Sanofi n’a communiqué cette information à la préfecture qu’en mars, lors d’une inspection», affirme l’association.«Si les dépassements ont été possibles, c’est parce que Sanofi ne contrôlait pas les trois colonnes de l’usine, mais une seule. Jamais contrôlées, les deux autres ont envoyé ces quantités astronomiques de polluants dans l’air», accuse la FNE, qui a l’intention de déposer une plainte contre le géant pharmaceutique. Sanofi a reconnu lundi «un problème de dépassement localisé des seuils de rejet de vapeur de solvants» tout en assurant que les populations n’étaient «pas exposées à des niveaux supérieurs aux seuils fixés par la réglementation».Sanofi a fait savoir qu’il lançait «une enquête interne»pour déterminer «les causes et l’historique de la situation». Et surtout pour engager illico des travaux visant à installer «une unité de collecte et de traitement des rejets afin de les réduire significativement».

Pourquoi ne pas l’avoir fait avant ? On ne parle pas d’une PME, mais d’une multinationale du CAC 40 qui pèse 35 milliards d’euros de chiffre d’affaires et a engrangé en 2017 plus de 8,5 milliards de profits…

Le gouvernement a annoncé que «des prélèvements et des analyses seront effectués par des laboratoires indépendants sur le site et dans son voisinage» après travaux pour s’assurer que l’usine peut redémarrer.

Source : Libération