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Dépakine, Levothyrox, Essure : rencontre avec trois lanceuses d’alerte

Le Parisien 

LE PARISIEN WEEK-END. Plus jamais ça. C’est ce qu’ont juré Sylvie Chéreau, Marielle Klein et Marine Martin, victimes de graves complications en raison d’une prescription médicale. Alors qu’une information judiciaire vient d’être ouverte dans l’affaire du nouveau Levothyrox et que des millions de Français se méfient des vaccins, voire de la pilule, nous avons rencontré ces trois lanceuses d’alerte.

Sans leurs lourds problèmes de santé, les routes de ces trois femmes ne se seraient jamais croisées. Marine Martin, 46 ans, a donné naissance, au tournant des années 2000, à deux enfants handicapés après avoir pris de la Dépakine, un traitement contre l’épilepsie du laboratoire Sanofi. Marielle Klein, 40 ans, a subi en 2016 une ablation de l’utérus et des trompes à cause des implants de stérilisation définitive Essure, commercialisés par Bayer. Sylvie Chéreau, 49 ans, a souffert de graves effets secondaires après la mise sur le marché, en mars 2017, de la nouvelle formule du Levothyrox (Merck), médicament qu’elle prend depuis une ablation de la thyroïde.

Dans le sillage d’Irène Frachon, pneumologue à Brest, qui a révélé en 2010 le scandale du Mediator, ces trois citoyennes ordinaires, qui menaient jusque-là une vie tranquille dans les Pyrénées-Orientales, en Moselle et en Haute- Garonne, ont fédéré les victimes. Avec leur seule détermination et la puissance des réseaux sociaux, elles se battent contre des multinationales du médicament. Pour la première fois, nous avons réuni, le 12 janvier à Paris, ces trois lanceuses d’alerte, au cabinet de Me Charles Joseph-Oudin, avocat des victimes de la Dépakine, d’Essure et du Mediator. La discussion s’est ensuite poursuivie longtemps dans un restaurant. Dans l’entretien croisé que nous publions, elles nous racontent leur combat, celui de David contre Goliath, leur indignation, et n’ont pas manqué l’occasion de demander à Agnès Buzyn, la ministre de la Santé, d’agir.

 

Racontez-nous : quand votre vie a-t-elle basculé ?

Sylvie Chéreau En mai 2017, je me suis sentie très fatiguée. J’avais des courbatures et je ressentais de vives douleurs thoraciques. Le 6 septembre, à la radio, l’actrice Anny Duperey décrit les mêmes symptômes. Je réalise que mes troubles sont dus au changement de formule du Levothyrox. Ni mon médecin ni mon pharmacien, en qui j’avais une confiance absolue, ne m’en avaient avisée. Je trouve scandaleux que certains aient avancé l’effet nocebo pour expliquer mes maux (connaître les effets secondaires d’un médicament augmenterait le risque d’en souffrir, NDLR).

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Manifestation contre la nouvelle formule du Levothyrox, à Bourgoin-Jallieu (Isère), le 3 novembre 2017. (Romain Lafabrègue/AFP) 
Marielle Klein Je ne voulais plus d’enfant après mon petit cinquième. Ma gynécologue me recommande donc les implants Essure : deux petits ressorts qu’on introduit dans les trompes par voie naturelle. On me les pose en 2011. Je les oublie. En 2013, je ressens des douleurs au visage, j’ai des vertiges, je suis épuisée. Ma santé se dégrade : thrombose, tachycardie, règles hémorragiques. Les spécialistes que je consulte ne trouvent rien, me prennent pour une folle. Moi, je crois que je vais mourir. En 2015, j’apprends que mes implants contiennent du nickel. Or j’y suis allergique.
Marine Martin En 1999, ma fille naît avec des traits asiatiques, puis mon fils, en 2002, avec une malformation de la verge. A l’âge de marcher, il ne marche pas, à l’âge de parler, il ne parle pas. Pendant des années, je fais des recherches sur l’autisme, mais le tableau clinique ne colle pas. En 2009, en cherchant « médicaments dangereux grossesse » sur Internet, je tombe sur le Centre de référence sur les agents tératogènes (Crat), qui cite la Dépakine, mon traitement quotidien, comme l’un des plus toxiques pour le foetus. C’est un choc. La notice ne mentionne pas ces dangers. Le seul risque lié à la grossesse dont mon neurologue m’avait avertie était le spina bifida, une malformation de la colonne vertébrale du bébé, évitable en prenant de l’acide folique, ce que j’avais fait.
Comment lancez-vous l’alerte ?
Marine Martin Comment pouvais-je me taire en sachant que des enfants allaient naître tous les jours sous Dépakine ? A la télé, je vois Irène Frachon, qui a révélé l’affaire du Mediator – mon modèle –, et l’avocat Charles Joseph-Oudin. Je le contacte. On ne s’attaque pas comme ça à Sanofi, le fleuron de l’industrie pharmaceutique française. Je fonde donc l’Apesac, l’Association d’aide aux parents d’enfants souffrant du syndrôme de l’anticonvulsant, et j’alerte la presse locale. Immédiatement, des dizaines de familles m’appellent. Je quitte mon emploi de responsable logistique dans les transports. La santé, le droit, les médias, les politiques, le lobbying auprès des députés… Je n’y connaissais rien ! Agnès Buzyn, la ministre de la Santé, m’a reçue le 27 novembre 2017 après que François Ruffin, député La France insoumise, a interpellé le Premier ministre sur la Dépakine à l’Assemblée. Aujourd’hui, je maintiens la pression pour obliger la ministre à bouger. Je gère une équipe pour répondre à des dizaines de milliers d’appels. Un numéro Vert a été ouvert pour le Levothyrox, pas pour la Dépakine. Nous devons nous débrouiller seuls.

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Le 27 novembre, la ministre de la Santé, Agnès Buzyn (à droite), a reçu Marine Martin (2e à g.), de l’association Apesac.

 Sylvie Chéreau Les politiques ? Je n’irai pas frapper à leur porte. Je fais davantage confiance à la justice. Ce sont les réseaux sociaux qui m’ont amené du monde. Le 6 septembre dernier, le scandale éclate. Le 10, je crée le collectif VNLO (Victimes du nouveau Levothyrox en Occitanie). Comme je ne connais rien à Internet, ma fille m’aide à lancer un appel sur Leboncoin, puis un groupe sur Facebook. Des centaines de témoignages arrivent. Le 15, j’apprends qu’on peut trouver l’ancienne formule du Levothyrox en Espagne. Je vais donc m’y approvisionner. J’étais au plus bas et, en quatre jours, tous mes symptômes ont cessé. Avec le recul, j’ai eu l’impression qu’on avait voulu m’empoisonner. Je suis en colère. A partir du 25 septembre, j’ai commencé à organiser des réunions publiques à Saint-Gaudens et à Toulouse (Haute-Garonne) pour parler des effets indésirables.
Marielle Klein Irène Frachon est le modèle de Marine, eh bien mon modèle à moi, c’est Marine ! Au moment où je fais le lien entre mes troubles et mes implants Essure, en 2015, nous sommes en plein scandale de la Dépakine. Elle m’a donné du courage. Bayer n’avait pas prévu de protocole de retrait de ses implants en cas de problème, la seule option étant l’ablation de l’utérus et des trompes. On m’opère en janvier 2016. Depuis, je vais mieux, mais j’ai des séquelles neurologiques, avec des spasmes et une atrophie musculaire. Je ne sais pas de quoi sera fait l’avenir. Mon système immunitaire est perturbé. En février 2016, je lance une pétition en ligne sur Change (elle a obtenu près de 80 000 signatures, NDLR), je contacte Me Joseph-Oudin et je fonde Resist (Réseau d’entraide, de soutien et d’informations sur la stérilisation tubaire). Un article dans la presse plus tard, des dizaines de femmes me rejoignent. Nous n’étions plus une bande de folles qui se montaient le bourrichon
!Qu’avez-vous obtenu ?
Marine Martin Avec une association britannique, nous avons obtenu le changement des conditions de prescription de la Dépakine auprès de l’Agence européenne du médicament. Depuis mai 2015, le risque est signalé sur la notice. En février 2016, une enquête de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) a pointé l’inertie des pouvoirs publics et de Sanofi. Et en mai 2017, j’ai obtenu qu’un logo soit apposé sur les boîtes de tous les médicaments toxiques pour le foetus. Cela ne concerne pas juste la Dépakine ou le Depakote, qui contient la même molécule, mais aussi l’ibuprofène, par exemple.
Marielle Klein  En septembre, Bayer a annoncé l’arrêt de la commercialisation d’Essure pour motifs « économiques ». Cela ne met pas fin à notre action, car les 175 000 femmes porteuses d’Essure en France peuvent souffrir d’effets secondaires dans le futur. Il y a eu des poses massives de ces implants, un vrai business à 750 euros le lot et 600 euros la pose. Le scandale a éclaté plus tôt aux Etats-Unis, où, en 2016, les ventes ont chuté de 80 % alors qu’en France elles augmentaient de 40 % ! Resist regroupe 2 200 victimes mais il y en a certainement bien plus. Aux Pays-Bas, sur 30 000 implantées, 4 500 victimes ont déjà été recensées.
Sylvie Chéreau Contrairement à Marielle et à Marine, je pense que ça se terminera vite et qu’on n’acceptera plus jamais ça. Je suis peut-être naïve. Le 7 novembre, Me Jacques Lévy, notre avocat à Toulouse, a obtenu une assignation « d’heure à heure » (d’urgence) de Merck, et la remise immédiate sur le marché de l’ancien Levothyrox.
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Groupe Facebook, réseau d’entraide, association : Sylvie Chéreau, Marine Martin et Marielle Klein mobilisent tous azimuts. (Christophe Boulze pour Le Parisien Week-End) 

Qu’attendez-vous, maintenant ?
Marine Martin Je réclame depuis des années une étude pour connaître le nombre de victimes de la Dépakine. En cinquante ans de prescription, j’estime qu’il y en a 50 000 à 70 000. Rien qu’entre 2007 et 2014, l’Association nationale de sécurité du médicament (ANSM) a dénombré 14 322 cas de femmes exposées enceintes à l’acide valproïque, la molécule de la Dépakine. Sur les 8 700 enfants nés (les autres sont morts à la suite de fausses couches, de grossesses extra-utérines ou d’interruptions de grossesse, NDLR), 10 % présentaient des malformations physiques et 30 % à 40 % des troubles neuro-développementaux. Dès les années 1980, Sanofi connaissait les risques de malformations et d’autisme. Fin novembre 2017, la cour d’appel d’Orléans a condamné le laboratoire à verser 2 millions d’euros à une famille dont l’enfant est né en 2002 avec de graves malformations, et 1 million à la Sécurité sociale. Sanofi s’est pourvu en cassation. D’autres poursuites sont engagées et l’Apesac conduit une action de groupe qui sera plaidée au printemps. L’enjeu est de contraindre Sanofi à indemniser les victimes dans le cadre du dispositif Oniam (Office national d’indemnisation des accidents médicaux), en vigueur depuis juin 2017. J’ai demandé à Agnès Buzyn que le gouvernement envoie un signal fort en imposant à Sanofi d’abonder ce fonds. Pour l’instant, c’est le contribuable qui paie. C’est scandaleux!
Marielle Klein Nous demandons au ministère de la Santé et à l’ANSM, en vain pour l’instant, le rapport assurant que ces implants sont faits pour rester quarante ans dans le corps. Ce document existe-t-il ? Nous demandons à Agnès Buzyn que chaque porteuse d’Essure soit contactée, informée des risques, et qu’on lui transmette un protocole de retrait, commun à tous les gynécologues et en cours d’élaboration, pour limiter les risques. Aujourd’hui, ni l’Etat ni Bayer ne prennent leurs responsabilités et c’est Resist qui court après les victimes. Nous lancerons dans les semaines à venir une action de groupe contre Bayer, parallèlement aux actions individuelles engagées.
Sylvie Chéreau Nous avons été trahis. Nous voulons le retour de l’ancienne formule du Levothyrox, mais aussi plus d’alternatives à ce médicament. Nous souhaitons enfin comprendre pourquoi la nouvelle formule, dont le laboratoire affirme avoir seulement changé l’excipient (l’enrobage), nous a rendus malades. Dans l’affaire du lait infantile Lactalis contaminé fin 2017, le gouvernement a trouvé tout de suite les salmonelles, et pour nous, rien. Pourquoi le Levothyrox ancienne formule, produit en France, est-il exporté en Italie ? Nous sommes les cobayes de l’Europe. 

Les labos sur le gril 

Bayer : « plus de dix années de recherche »

Invité à réagir à notre article, voilà ce que nous a répondu, par l’intermédiaire d’une de ses porte-parole, le groupe allemand Bayer, qui a commercialisé, de 2002 à 2017, les implants de stérilisation définitive Essure : « La sécurité et l’efficacité d’Essure restent étayées par plus de dix années de recherche scientifique et d’expérience clinique en vie réelle. » Pourquoi, alors, arrêter la vente en septembre ? Cette décision « n’était pas liée à un problème de sécurité ou de qualité du produit » mais à « une raison commerciale ».

Sanofi : « Nous avons alerté les autorités »

Le groupe français produit la Dépakine depuis 1967. « Dès le début des années 1980, nous avons informé sur le risque de malformations du fœtus. Et dès le début des années 2000, nous avons alerté à plusieurs reprises les autorités de santé sur les risques de retards neuro-développementaux », nous a affirmé Sanofi. Concernant sa condamnation à la suite de la plainte déposée par une famille, le labo estime que « les risques de malformations étaient bien mentionnés à l’époque des faits dans les documents d’information ». 

Merck : « 0,75 % des patients concernés »

Mars 2017. Le Levothyrox, médicament Merck pris par 2,3 millions de Français, change de formule. « Cette modification, demandée par les autorités, a causé des effets indésirables chez 17 000 patients, soit 0,75 % d’entre eux », souligne Valérie Leto, pharmacienne responsable Merck. En octobre, le géant allemand recommercialise les anciennes boîtes « jusqu’à fin 2018 ». Le 2 mars, une information judiciaire contre X a été ouverte à Marseille pour « tromperie aggravée, blessure involontaire et mise en danger d’autrui ».

Source : le parisien 

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